« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », ainsi commence l'article 1er de la Constitution de la Vème République : la laïcité est d'emblée posée comme un principe essentiel et central de la République et de la France, et ceci semble aujourd'hui naturel. Pourtant il n'en était pas ainsi il y a encore un peu plus d'un siècle, la France étant alors divisée en deux entre les partisans de la laïcité et ses opposants. Avant d'entrer dans les détails de l'évolution historique, demandons-nous d'abord ce qu'est la laïcité. Comment définir cette notion ? D'emblée nous nous trouvons confrontés à un problème. Plusieurs acceptations du mot semblent en effet possibles. Ainsi, le terme de « laïcité » est apparu en 1871 pour parler de l'enseignement public, c'est alors un néologisme. Il vient de l'adjectif « laïque » (à ne pas confondre évidemment avec le « laïc » qui est, dans l'Église, un baptisé non prêtre) qui désigne l'aspect profane ou séculier d'une réalité. On appelle traditionnellement laïcité, « le principe de séparation de la société civile et de la société religieuse, l'État n'exerçant aucun pouvoir religieux et les Églises aucun pouvoir politique ». De manière plus positive, Renan en 1882 voit dans la laïcité, « l'Etat neutre, tolérant pour tous les cultes et forçant l'Eglise à lui obéir sur ce point capital ».
Il est d'ailleurs important de ne pas confondre la « laïcité » avec le « laïcisme », « la doctrine qui tend à donner aux institutions un caractère non religieux », c'est-à-dire, pour ses adversaires du moins, un anticléricalisme affirmé. Dans le dictionnaire de théologie catholique en 1965, on précise bien que « le laïcisme s'oriente plus vers l'hostilité, la laïcité vers l'indifférence ». Enfin, on parlera de « laïcisation » pour désigner le processus de développement de la laïcité.
Cependant, la définition de la laïcité n'est pas si simple. Par exemple, dans sa déclaration du 13 novembre 1945, l'épiscopat français donne quatre sens possibles à la laïcité de l'Etat. On a donc ici la preuve de possibles visions différentes de la laïcité. En fait, comme l'explique A. Bayet (président de la Ligue française de l'Enseignement) dans son livre Laïcité XXème siècle (1958), la laïcité apparaît comme un concept dynamique, « une idée vivante ». Le terme n'a cessé et ne cessera sûrement pas de si tôt d'évoluer au gré du contexte. Ainsi, ne sommes-nous pas passé d'une laïcité de combat à une laïcité de tolérance et de liberté ? Ceci semble bien traduire un changement de vision, une évolution de la notion.
C'est en 1905 que l'Etat français adopte le principe de laïcité avec la loi du 9 décembre instaurant la séparation des Eglises et de l'Etat. Toutefois, cette loi était en fait le fruit d'une évolution beaucoup plus longue, remontant jusqu'à la Révolution française. Ainsi, avec la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 puis la Constitution de 1791 on affirme les droits de tous les individus, notamment la liberté de conscience et la liberté pour chacun d'exercer le culte religieux auquel il est attaché. On met donc ainsi fin au monopole de l'Eglise catholique pour permettre progressivement une égalité en droits pour les autres cultes, même si l'égalité complète est encore loin. A cette époque, le processus de laïcisation est donc entamée (certains parlent même de déchristianisation) : laïcisation des fondements du pouvoir avec le principe de souveraineté dans la nation ou le peuple ; laïcisation de l'état civil avec la tenue des registres d'état civil qui n'est plus de la compétence de l'Eglise catholique, tout comme le mariage devient un simple contrat et le divorce est introduit dans la société ; laïcisation de l'enseignement ensuite, qui trouvera son aboutissement dans les lois Ferry de 1881 et 1882. Ce mouvement s'accompagne d'une lente sécularisation de la société française et une mise à distance de la religion et du pouvoir de l'Eglise catholique. Le XIXème siècle est alors marqué par un durcissement des positions et de l'attitude de l'Eglise catholique vis-à-vis de la République. En juillet 1790, on lui a imposé la Constitution civile du clergé qui prévoit l'élection des évêques et des curés et leur prestation de serment. Par le décret du 3 Ventôse An II (1795), la République ne salarie plus aucun culte, ni ne reconnaît aucun ministre du culte. Si la religion catholique reste majoritaire en France, l'œuvre de la Révolution a donc amené une série de provocations et de pertes de pouvoir pour l'Eglise autrefois toute puissance. Le Concordat signé en 1801 permet à l'Eglise de retrouver un peu sa place car elle est reconnue comme « la religion de la très grande majorité des français », même si les cultes luthériens, calvinistes et juifs sont également reconnus et acquièrent le même statut que l'Eglise catholique. Ainsi, les relations entre les Eglises et l'Etat vont être apaisées jusqu'en 1905. Néanmoins, après 1814 et la Restauration, l'Eglise catholique développe la contre-révolution et l'interventionnisme politique pour revenir sur les acquis de la Révolution comme la laïcisation de l'état civil. En réaction, les républicains durcissent également leur position, devenant de plus en plus anticléricaux, comme en témoignent certains penseurs : Michelet, Proudhon ou Hugo. Mais l'anticléricalisme se développe aussi dans la population qui dénonce le décalage entre le discours et la pratique, notamment la soif de pouvoir des hommes d'Eglise. C'est pour cela qu'on parle des « deux Frances », entre les républicains révolutionnaires et anticléricaux et la contre-révolution clérical antirépublicaine. En réponse à l'offense cléricale, on dénonce les dangers du cléricalisme et défend la conquête de la raison, de l'esprit critique. A cette époque, comme l'affirme Gambetta en 1877, « le cléricalisme c'est l'ennemi ». Certes, l'Eglise finit par se rallier à la République à travers ce qu'on appelle l' « esprit nouveau », revirement confirmé dans l'encyclique de 1892, par le Pape Léon XIII, mais ce n'est qu'un ralliement de raison, l'Eglise a compris que la République a gagné, qu'elle s'est imposée et donc qu'il y a désormais plus à perdre en s'opposant au régime. Mais tout n'est pas réglé : avec l'affaire Dreyfus, les adversaires de la République, notamment les cléricaux, trouvent l'occasion d'exprimer leur aversion pour les valeurs de 1789. La presse catholique entre alors au service du combat antidreyfusard avec une virulence antisémite vive. S'en est déjà terminé de l'esprit nouveau, désormais la fracture entre la République et l'Eglise semble irréductible. La marche vers la séparation est lancée. La réconciliation entre la culture politique égalitaire, individualiste et laïque issue de la Révolution française et la contre-révolution hiérarchique, aristocratique, cléricale, traditionaliste et anti-individualiste n'est plus vraiment possible. Enfin, la loi de 1901 sur la liberté d'association et notamment sur les congrégations religieuses, et plus encore, l'application sévère de celle-ci par Emile Combes aggrave encore le conflit entre l'Eglise catholique et les autorités républicaines, apparaissant ainsi comme l'ultime prélude à une prochaine séparation. Une commission chargée d'examiner la question de la séparation entre les Eglises et l'Etat est constituée en juin 1903 à la Chambre des Députés. En avril 1904, la visite de Combes au roi d'Italie est vécue comme une dernière provocation par le Vatican entraînant immédiatement la rupture des relations diplomatiques. La séparation s'impose donc, donnant lieu à la loi du 9 décembre 1905, socle de l'organisation laïque de l'Etat. Mais cette loi n'est donc pas une rupture subite, bien au contraire elle apparaît comme le fruit d'un long processus commencé en 1789. Cependant, il fallait attendre l'évolution progressive des mentalités, relayés par des intellectuels, des politiques…
A l'origine, le texte de 1905 se veut comme pacificateur et réconciliateur, en témoigne le discours de son rapporteur, A. Briand : « Il fallait que la séparation ne donnât pas le signal des luttes confessionnelles ; il fallait que la loi se montrât respectueuse de toutes les croyances (…) ». Toutefois, l'Eglise catholique, qui est la première concernée par la loi même si la séparation des Eglises et de l'Etat s'applique aussi à tous les autres cultes, va la considérer comme une attaque personnelle, le point d'orgue de la guerre engagée contre elle depuis la Révolution. La loi de 1905, et plus généralement la laïcité est d'emblée une source de conflit dans l'interprétation qu'on peut en faire. Jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Eglise catholique va donc avoir du mal à accepter sa nouvelle position dans la société et à s'adapter à cette évolution. Ainsi, pendant longtemps, les contestations contre la laïcité viendront essentiellement de l'Eglise catholique, c'est pour cela que nous parlerons beaucoup plus de celle-ci que des autres cultes qui, globalement, se sont facilement adaptés. Cependant, au cours du XXème siècle, l'épiscopat français et le Vatican ont progressivement compris les intérêts et avantages de la laïcité et ont finalement mis fin à leurs protestations, acceptant totalement la laïcité et allant même aujourd'hui jusqu'à s'opposer à une réforme dans ce domaine.
Comment sommes-nous passés d'une vision d'une laïcité de combat à une laïcité vue comme tolérante ? Est-ce l'Eglise catholique qui s'est finalement adaptée se rendant compte de ses erreurs ou au contraire, les textes qui ont évolué pour être mieux acceptés ? Il s'agira tout d'abord de nuancer cette vision manichéenne : dès le début, on peut voir une volonté de liberté, de tolérance dans le texte de 1905 ; d'emblée certains membres de l'Eglise catholique voient dans la séparation de l'Eglise et de l'Etat, un avantage à tirer… Mais ce qui est sûr, c'est qu'il y a eu une évolution : la laïcité s'est peu à peu imposée à la société, jusqu'à devenir un principe constitutionnel et à faire l'objet d'une grande cérémonie à l'occasion des 100 ans de la loi, en 2005. Aujourd'hui, la question reste malgré tout d'actualité face aux nouveaux défis de la société moderne. Le problème de l'Eglise catholique est donc réglé depuis maintenant quelques temps mais les débats continuent autour notamment de la place de l'Islam, désormais deuxième religion de France, dans la République laïque.
Comment le concept de laïcité a-t-il donc évolué au cours de ces 100 ans ? Comment a-t-il pu être accepté par l'Eglise catholique ? Et finalement, une même évolution, d'une difficile entente avec la République à une harmonie totale avec le système, peut-elle être envisagée pour l'Islam ? Ainsi, à l'origine de la laïcité se trouve la loi de 1905, un texte qui se voulait réconciliateur mais qui donna finalement lieu à une laïcité de combat, opposant les défenseurs de la laïcité à l'Eglise catholique (I). Cependant, comme nous le verrons dans un deuxième temps, la « laïcité à la française » a été peu à peu acceptée par la société et par les Eglises (II). Enfin, en ce début de XXIème siècle, un nouveau changement semble s'amorcer pour la laïcité : face à l'Islam et à la montée des intégrismes, comment la laïcité va-t-elle pouvoir à nouveau évoluer ? Ne retournons-nous pas aujourd'hui à la première phase, celle de la laïcité de combat ? Ceci présage-t-il la même évolution que pour l'Eglise catholique, c'est-à-dire l'acceptation progressive ? Ou est-ce une remise en cause de la laïcité qui s'annonce (III) ?
[...] Comment le concept de laïcité a-t-il donc évolué au cours de ces 100 ans ? Comment a-t-il pu être accepté par l'Eglise catholique ? Et finalement, une même évolution, d'une difficile entente avec la République à une harmonie totale avec le système, peut-elle être envisagée pour l'Islam ? Ainsi, à l'origine de la laïcité se trouve la loi de 1905, un texte qui se voulait réconciliateur mais qui donna finalement lieu à une laïcité de combat, opposant les défenseurs de la laïcité à l'Eglise catholique Cependant, comme nous le verrons dans un deuxième temps, la laïcité à la française a été peu à peu acceptée par la société et par les Eglises (II). [...]
[...] Les sectes se développent. Ainsi, les réticences contre l'Islam s'inscrivent dans la continuité d'une méfiance par rapport aux religions, accentuées par l'apparition de ces nouvelles communautés de croyant qui ne semblent pas respecter les compromis acquis péniblement depuis un siècle entre les catholiques et les laïques. La perte de contrôle de l'Etat sur les sociétés, la crise du politique entraîne un regain du religieux mais sous les nouvelles formes adaptées à la laïcité et au monde moderne, des formes qui se révèlent finalement dangereuse pour la société et pour la nation. [...]
[...] Dans le dictionnaire de théologie catholique en 1965, on précise bien que le laïcisme s'oriente plus vers l'hostilité, la laïcité vers l'indifférence Enfin, on parlera de laïcisation pour désigner le processus de développement de la laïcité. Cependant, la définition de la laïcité n'est pas si simple. Par exemple, dans sa déclaration du 13 novembre 1945, l'épiscopat français donne quatre sens possibles à la laïcité de l'Etat. On a donc ici la preuve de possibles visions différentes de la laïcité. En fait, comme l'explique A. [...]
[...] Les relations diplomatiques avec le Vatican sont rompues depuis 1904 et de toute façon, le gouvernement refuse de discuter avec lui. Alors que le Concordat était un accord signé entre la France et le Vatican, la loi qui rompt les dispositions concordataires est donc adoptée de manière totalement unilatérale. De plus, comme le diront les minorités catholiques, le gouvernement ignore aussi la nation qui n'a pas non plus été consultée. Le gouvernement aurait pu organisé un référendum comme le réclama le journal La Croix le 16 mars 1905. [...]
[...] Le pays demeure calme. Les organes cléricaux essayent vraiment de troubler les esprits : tous les hommes censés comprennent que ceux qui allaient à la messe continueront à y aller ( ) Annexe 3 : La loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics L'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit : Article 1 - Il est inséré, dans le code de l'éducation, après l'article L. [...]
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