Les démocraties parlementaires occidentales, comme l'a montré en son temps, Raymond Aron, sont des systèmes fragiles dans la mesure où, au lieu de libérer l'individu, la croissance technico-économique le soumet à une sur- administration et dégrade les mécanismes traditionnels de la démocratie libérale, menacée tant par l'excès de passions partisanes que par l'excès de compromis. L'on assiste, en effet, depuis une vingtaine d'années, à l'apparition de deux phénomènes contradictoires. D'une part, la politique se banalise, les doctrines et les utopies de nos pères ont montré leur inanité, tandis que, d'autre part, à la faveur du développement d'une bureaucratie de plus en plus envahissante, l'autorité se dépersonnalise à tous les échelons de l'administration, et cette mécanisation de la société, déjà prophétisée par Aldous Huxley dans « Le meilleur des mondes », se traduit par de la défiance envers toute autorité politique dès l'instant qu'elle s'incarne dans des institutions individualisées.
[...] Ce que Bernard Manin (Principes du gouvernement représentatif, Calmann Lévy, 1995) inclut sous l'appellation de parlementarisme du XIXe siècle, constitue la confiscation de la volonté générale au profit de quelques élites. C'est la première étape du processus représentatif, qui consiste, grâce au vote censitaire à unifier les volontés sans user de la contrainte, mais sans sacrifier pour autant à l'expression d'une volonté populaire omnipotente dont les débordements révolutionnaires ont appris à se méfier.
[...] À la chute de l'ancien régime, en effet, en France, mais aussi dans toutes les autres démocraties occidentales naissantes, c'est la haute bourgeoisie et une partie de l'ancienne noblesse qui s'étant emparée du pouvoir a prétendu être le dépositaire naturel de la nouvelle légitimité nationale. L'illusion a perduré le temps du suffrage censitaire. Très vite, cependant, du fait du développement de l'industrialisation, avec l'apparition des classes populaires en mal de représentation, avec l'extension des prérogatives parlementaires et avec enfin celle du suffrage populaire, les notables en place se sont vus concurrencés dans l'arène politique par un nouveau personnel, mieux en phase avec les électeurs modestes qui les avaient portés au pouvoir, à savoir de véritables professionnels de la politique, organisés en partis politiques. Structurés de manière plus rigide que les réseaux souples des notables, porte-parole des défavorisés de la société, les partis modernes apparaissent aux Etats-Unis à l'époque de Jackson, vers 1830, en Angleterre en 1832.
[...] Crise des syndicats : Investis du rôle de contrepoids socio- politique et de la fonction de représentation du monde du travail, tant à destination du pouvoir politique que de l'ensemble de la société dont ils recherchent le soutien, ils subissent actuellement une désaffection criante, puisque le taux de syndicalisation est en chute libre dans toutes les grandes démocraties occidentales. Hormis les pays du nord où il se maintient aux alentours de 80%, il n'est plus que de 32% en grande- Bretagne, de 26% en Allemagne, de 18% en Espagne et de seulement 6% en France. Par ailleurs, perdant de son efficacité, l'action syndicale est maintenant sérieusement concurrencée par de nouvelles formes de mobilisation sauvage, les coordinations éphémères qui, revendication par revendication, se veulent plus proches des groupes mobilisés. (...)
[...] Deuxième temps fort de la période actuelle, l'apparition d'une opposition extraparlementaire et de nouveaux lieux politiques. L'apparition de nouvelles formes partisanes, en premier lieu, est notamment illustrée par les partis écologistes, qui, issus de l'alliance entre expériences associatives et initiatives citoyennes, portent d'abord un projet de société alternatif, mais plus généralement aussi et plus immédiatement, un projet politique alternatif consistant à remplacer le système représentatif existant perçu comme élitiste, par la pratique de la démocratie participative. D'inspiration libertaire, sans positionnement particulier sur l'axe droite/gauche, ils innovent en ce sens, que, contrairement aux partis traditionnels centralisés et oligarchiques, les instances dirigeantes sont réellement collégiales, les structures décentralisées largement autonomes et les adhérents véritables détenteurs de la ligne programmatrice du parti. [...]
[...] La consécration actuelle de l'opinion publique pourrait n'être rien d'autre, en définitive, qu'un nouvel avatar du régime représentatif, cette « démocratie du public » de Bernard Manin qui distend les liens antérieurs entre opinion, d'une part, et identité sociale et partisane, d'autre part. Aux liens personnels entre représentants indépendants et électeurs, caractéristiques du parlementarisme, puis à l'encadrement du peuple par les partis, s'est, en effet, substituée une personnalisation des représentants découlant du rôle majeur des médias. S'agit- il d'un renforcement ou d'un appauvrissement de la démocratie ? L'avenir le dira. [...]
[...] Soit, il est moins passif qu'autrefois, c'est-à-dire plus rationnel, plus individualiste et plus stratège. Autrement dit, selon le mot de Himmelveit, l'on aurait affaire à un électeur- consommateur, qui, se soustrayant plus ou moins largement à tout groupe d'appartenance, choisirait au coup par coup, parmi les candidats, les partis et les programmes ceux qui iraient, pour un certain temps dans le sens de ses intérêts, quitte à revoir son choix lors de chaque consultation successive. Soit, il parait, au contraire, passif, comme le montre la progression constante des taux d'abstention qui ont augmenté, parfois de plus de 10% par rapport aux électeurs inscrits, depuis le milieu des années 80, dans toutes les démocraties européennes. [...]
[...] Mais, là encore, ce système de représentation médiatisée du peuple souverain, pose problème. En effet, ce nouveau type de dirigeants, qui vivent à la fois, « de » et « pour » la politique a accaparé, à son tour la voix de la nation et s'est constituée en une espèce de corporation dotée d'intérêts propres. Certes, l'ouverture sociologique du milieu politique a contribué à refléter plus justement qu'auparavant la diversité sociale, le pourcentage de députés ayant exercé les professions d'ouvriers, d'employés, de petits fonctionnaires, ou d'instituteurs, par exemple, été multiplié par treize sous les IIIe et IVe Républiques, il n'en reste pas moins que ce phénomène de monopolisation relative des mandats électifs peut s'interpréter comme une perversion de la démocratie. [...]
[...] SCIENCES POLITIQUES Devoir de sociologie politique La crise de la représentation politique dans les démocraties occidentales Introduction. Les démocraties parlementaires occidentales, comme l'a montré en son temps, Raymond Aron, sont des systèmes fragiles dans la mesure où, au lieu de libérer l'individu, la croissance technico-économique le soumet à une sur- administration et dégrade les mécanismes traditionnels de la démocratie libérale, menacée tant par l'excès de passions partisanes que par l'excès de compromis. L'on assiste, en effet, depuis une vingtaine d'années, à l'apparition de deux phénomènes contradictoires. [...]
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