La discrimination positive aux Etats-Unis ou affirmative action « désigne l'ensemble des mesures, de nature publique ou privée, adoptées pour la plupart à partir de la fin des années 1960 à l'initiative de divers organes de l'appareil administratif fédéral, qui octroient un traitement préférentiel dans la répartition de certaines ressources génératrices de gratifications matérielles et symboliques aux membres des groupes suivants : les Noirs, les femmes, les « Hispaniques », les descendants des populations autochtones (Native Americans) et, dans certains cas, les Asiatiques » (Daniel Sabbagh). Ces mesures s'appliquent dans trois domaines : l'emploi, l'admission dans les universités sélectives et l'attribution des marchés publics. Initialement conçue comme un dispositif temporaire visant essentiellement à « rembourser » la dette historique envers la population noire, l'affirmative action a perduré jusqu'à aujourd'hui.
Pourtant, elle n'a cessé de faire débat. L'affirmative action, en tant qu'elle prend en compte la « race » (« périphrase pour désigner les groupes antérieurement soumis à la discrimination la plus systématique sur le fondement d'une idéologie raciste à prétention scientifique, désormais discréditée, mais dont les effets demeurent perceptibles », Daniel Sabbagh 2004), déroge au principe de color-blindness en maintenant à l'inverse une color-consciousness. Ainsi, le critère qui préside à la discrimination positive était celui qui établissait autrefois la discrimination hostile. C'est là un des arguments des opposants à cette politique comme Martin Luther King qui aspirait à une société neutre quant à la couleur de peau. Au-delà de cet aspect, l'affirmative action fait rentrer presque instantanément en conflit deux aspects contradictoires : d'une part, l'objectif de lever les obstacles qui s'opposent à l'égalité, et d'autre part, l'idée que l'on doit traiter les individus selon leur mérite et non selon leur appartenance à un groupe donné. Pour arriver à l'égalité de fait, il faut temporairement suspendre l'égalité de droit. Le problème est d'autant plus important qu'il y va d'un enjeu économique certain : il existe actuellement environ 160 programmes au niveau fédéral et que plus de dix milliards de dollars sont donnés à des entreprises « minoritaires » chaque année. Il apparaît par ailleurs que les questions de l'affirmative action et de l'immigration sont de plus en plus liées, notamment chez les républicains. Cette politique est donc de plus en plus sensible dans le débat public aux Etats-Unis.
Comment a-t-on réussi à concilier la cécité à la couleur et le traitement préférentiel des « minorités » ? Quelle légitimité et quel contrôle pour des programmes qui, certes tentent d'aider des minorités défavorisées, mais peuvent se faire au détriment d'une autre partie de la population ?
Tout d'abord, nous allons voir comment la construction du principe de non-discrimination a pu aboutir à une logique inverse de discrimination « bienfaisante » à l'égard des minorités (I). Puis, nous verrons comment l'interprétation et l'application hétérogènes de cette politique paradoxale l'ont finalement éloignée de ses principes initiaux (II). Ce plan mettra en valeur les tensions qui traversent la notion d'affirmative action, à la fois dans les textes (Ve et XIVe amendements, Civil Rights Act) et dans les arrêts de jurisprudence.
[...] En 1971, survient une importante extension de la notion de discrimination avec la décision Griggs v. Duke Power Company. En effet, la discrimination ne va plus désigner une procédure témoignant d'une intention de pénaliser un individu mais aussi désormais les pratiques qui ont un impact statistique différencié (disparate impact) sur des catégories raciales délimitées. La seule existence d'un déséquilibre dans la composition raciale de la main d'œuvre peut être considérée illégale en vertu du titre VII du Civil Rights Act. Une directive administrative de 1978 va préciser ce principe tiré de l'arrêt Griggs. [...]
[...] Toutefois, tous les programmes d'affirmative action ne sont pas à rejeter systématiquement au regard du XIVe amendement. En effet, la jurisprudence de la Cour suprême va même être plutôt favorable à l'affirmative action. En 1979, la décision United Steelworkers of America v. Weber approuve par une majorité de cinq voix un programme d'apprentissage réservant 50% de ses effectifs à des Noirs jusqu'à ce qu'un pourcentage d'employés noirs similaire à celui de la population locale soit reconstitué. Un tel programme est justifié car il ne constitue pas une discrimination fondée sur la race mais car son but est de rompre de vieux modèles de ségrégation et de hiérarchie raciale Un raisonnement similaire est conduit pour les femmes en 1987 avec la décision Johnson v. [...]
[...] Qu'en est-il alors du principe de stare decisis selon lequel la Cour doit juger selon ses propres précédents ? Selon elle, l'arrêt Metro Broadcasting était en conflit avec la jurisprudence bien établie de l'égale protection des lois, ainsi il ne s'agit pas de déchirer le tissu du droit mais plutôt de le réparer Si cette affaire a pu faire penser à la fin de l'affirmative action, c'est que le strict scrutiny constitue une présomption d'inconstitutionnalité. Toutefois, la Cour insiste dans ses conclusions sur le fait que l'application du strict scrutiny ne rejette aucunement l'affirmative action : la malheureuse persistance des effets de la discrimination raciale dans ce pays est une réalité regrettable, et l'Etat peut y répondre Quand une mesure de compensation est nécessaire pour promouvoir un intérêt prépondérant, la mesure est constitutionnelle si elle remplit les conditions déjà établies par cette Cour Le 5 novembre 1996, la Californie a été le premier Etat à amender sa Constitution dans le sens d'une remise en cause de l'affirmative action par la voie référendaire des suffrages exprimés ont approuvé la proposition 209, ou California Civil Rights Initiative. [...]
[...] Cette décision témoigne d'une certaine indétermination de la Cour en la matière : trois juges estiment que le programme n'a pas à être soumis à une vérification constitutionnelle car il s'agit de la prérogative du pouvoir fédéral à agir pour éliminer les discriminations, trois juges pensent qu'une telle vérification est nécessaire et qu'elle est satisfaite. Enfin, trois juges réfutent les classifications raciales. Au milieu des années 80, l'administration du Président Reagan, hostile à l'affirmative action, supprime un certain nombre des programmes en place. Dans le même temps, la jurisprudence de la Cour suprême semble se stabiliser autour de deux idées. [...]
[...] Aucune majorité ne va se dégager en ce qui concerne le fond. Quatre juges considèrent que le programme viole le titre VI du Civil Rights Act et refusent de porter l'affaire au rang constitutionnel. Quatre autres pensent que le titre VI ne prohibe que les discriminations visées par le XIVe amendement et que le programme ne viole ni l'un ni l'autre. Le dernier, le juge Powell, considère que le titre VI et le XIVe amendement constituent un bloc qui entraîne l'invalidation du programme. [...]
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