Nos sociétés occidentales aiment à se définir depuis quelques siècles comme fondées sur le modèle des droits de l'homme, cet idéal démocratique qui aurait à la fois comme moyen et comme fin le respect des libertés individuelles. En effet, de même que c'est en ayant le droit de penser et de dire ce qu'on veut qu'on est en mesure d'enrichir le débat démocratique, de même le système démocratique apparaît comme l'accomplissement de la liberté depuis le contractualisme théorisé par Rousseau, selon lequel être libre consiste à suivre la loi qu'on s'est donné à soi même au travers de la Volonté Générale.
Cette philosophie pose donc clairement l'homme comme un être à part, en ceci qu'il se voit considéré comme un être rationnel disposant du privilège de pouvoir réfléchir sur son sort en vue d'œuvrer pour le progrès.
[...] Cette volonté de protéger la dignité de la personne humaine à travers l'intégrité de son corps est spécialement manifeste dans la multiplication des mesures contre la torture, comme avec la distinction opérée par le nouveau Code Pénal français faisant de la torture une infraction spécifique à l'article 222-1 alors qu'il ne constituait dans l'ancien code qu'une circonstance aggravante, ou comme avec la Convention des Nations Unies Contre la Torture du 10 décembre 1984 qui interdit les violences destinées à soutirer des renseignements ou des aveux, punir d'un acte, intimider ou faire pression. [...]
[...] Le même paradoxe a d'ailleurs été souligné quelques mois plus tard par l'arrêt K.A et A.D, lui aussi prononcé par la Cour Européenne des Droits de l'Homme à propos de pratiques similaires (cette fois condamnées par le gouvernement belge), qui à nouveau n'ont pas été désapprouvées en invoquant le concept de dignité de la personne humaine contrairement à la cour d'Anvers qui avait estimé que même à une époque caractérisée par l'hyper- individualisme et une tolérance morale accrue, y compris dans le domaine sexuel certaines pratiques étaient tellement graves, choquantes, violentes et cruelles qu'elles portaient atteinte à la liberté humaine - mais en pointant du doigt la non-recevabilité du consentement de la victime, mis en doute par la quantité d'alcool absorbé et infirmé par plusieurs occurrences du cri pitié ! auquel les participants ont été insensibles. Or, cette justification semble fallacieuse : d'une part parce que l'épouse elle-même n'a jamais porté plainte, et d'autre part parce que si c'est seulement le consentement qui rend les pratiques acceptables, on voit mal comment expliquer l'interdiction de la prostitution choisie ou de la polygamie. [...]
[...] On voit donc que le concept de dignité de la personne humaine bien que pas toujours explicitement revendiqué, est omniprésent en tant que résurgence de la morale et tend à s'imposer de plus en plus contre les volontés individuelles et l'exercice personnel de nos libertés pourtant supposées souveraines. Dès lors, la question se pose de déterminer les frontières de cette dignité de la personne humaine pour être en mesure de voir jusqu'à quel point elle peut restreindre nos libertés individuelles. [...]
[...] En d'autres termes, la question qui va nous intéresser est de savoir si le concept de dignité de la personne humaine est compatible avec les libertés individuelles et si oui jusqu'à quel point. Nous verrons alors que si dans un premier temps, il y a bel et bien une certaine complémentarité entre les libertés individuelles et la dignité de la personne humaine qui jouent un véritable rôle d'interaction au service de l'individu qui par cette dernière affirme son droit à l'autodétermination il faut aussi souligner dans un second temps que le concept de dignité de la personne humaine semble en fait appelé à se construire de plus en plus contre les volontés individuelles, et donc contre les libertés individuelles, en tant que principe ayant finalement davantage trait à l'humanité en tant que valeur collective et transcendante que comme celle donnant des droits à chaque individu qui la possède de façon intrinsèque (II). [...]
[...] Et cette notion qui se revendique pourtant comme un progrès des droits de l'homme prend alors les traits d'un retour à une certaine morale chrétienne qui se veut plus dissuasive que progressiste. Un concept qui s'impose contre les individus En effet, il faut d'abord souligner que depuis plusieurs arrêts célèbres, le concept de dignité de la personne humaine semble s'imposer contre les individus eux-mêmes, c'est-à-dire contre leur volonté propre et contre un exercice apparemment normal de leur liberté individuelle : au nom d'une appartenance abstraite à une même identité humaine collective censée transcender les particularismes individuels, on tend en fait à rejeter certaines aspirations et intérêts concrets revendiqués par les individus. [...]
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