Ce sont Mario Bettati et Bernard Kouchner qui, dans les années 1980, ont théorisé le concept d'ingérence, concept évoqué en 1979 par Jean-François Revel. L'ingérence peut être définie comme « l'immixtion, sans titre, d'un État ou d'une organisation intergouvernementale dans les affaires qui relèvent de la compétence exclusive d'un État tiers » (M. Bettati) ou, plus largement, comme « toute action par laquelle l' « extérieur » intervient à l' « intérieur » d'une entité établie (ici, un État) » (P. Moreau-Defarges). Selon ce dernier auteur, la problématique de l'ingérence constitue aujourd'hui un des aspects majeurs du débat sur le système international. La définition de cette notion renvoie à plusieurs dimensions. D'abord, l'ingérence, omniprésente dans les rapports internationaux, serait toujours justifiée par des impératifs supérieurs. Par ailleurs, depuis la fin de la guerre froide, les interventions se sont multipliées et banalisées, tant au niveau humanitaire, qu'économique ou politique. Le droit d'ingérence se heurte ensuite à diverses réticences et hostilités. Il se situe en outre dans une position ambiguë du point de vue du droit international, n'étant consacré par aucun texte général. Il s'inscrit également dans une problématique d'ensemble concernant la position et le rôle des États dans le système international contemporain. Il se trouve enfin en quelque sorte aux prises de différentes contradiction.
Selon ses promoteurs, de telles immixtions, contre le gré de l'État concerné, seraient donc justifiées tant par le devoir supérieur d'assistance aux victimes que par l'idéal de justice internationale contre les tyrannies. Bien que simple dans son principe et bien que porteur de valeurs morales irréfutables, le concept d'ingérence n'en reste pas moins controversé, mais également assez flou. En premier lieu, en effet, l'ingérence apparaît comme directement contraire aux principes fondamentaux du droit international public. Les rapports interétatiques sont, en effet, régis par le principe de non-ingérence, ou de non-intervention. A ce titre, l'État souverain détient un monopole de l'autorité publique excluant toute ingérence extérieure. D'autre part, le concept d'ingérence n'a pas de contours clairement définis. Alors que les uns parlent d'assistance humanitaire, les autres évoquent un devoir d'ingérence, voire un droit d'ingérence. Or, ces différents vocables, s'ils gravitent autour d'une même thématique, ne visent pas exactement la même chose. Si le droit d'ingérence est la reconnaissance du droit qu'ont une ou plusieurs nations de violer la souveraineté nationale d'un autre État, dans le cadre d'un mandat accordé par l'autorité supranationale, en revanche, le devoir d'ingérence est l'obligation faite à tout État de fournir assistance, à la demande de l'autorité supranationale. De plus, les objectifs assignés à l'ingérence, que ce soit un droit ou un devoir, sont multiples, ce qui obscurcit un peu plus le concept. En effet, la notion d'ingérence est mise en avant non seulement pour venir en assistance à des victimes de catastrophes mais encore pour défendre les droits de l'homme ou lutter contre les tyrannies. Ainsi, il n'existe pas un droit d'ingérence mais des droits d'ingérence.
La problématique du lien entre démocraties et droit d'ingérence renvoie à ces différents aspects du droit d'ingérence, à son développement et surtout au rôle joué par les démocraties dans la mise en place et l'utilisation de ce concept. En effet, l'ingérence, dans sa définition la plus large, est un phénomène très répandu aujourd'hui, et est accepté par les États démocratiques, leur légitimité et crédibilité dépendant de leur transparence, de leur volonté et de leur capacité à se soumettre aux contrôles multiformes de l'extérieur. Ce sont également les acteurs principaux du droit d'ingérence, de son développement et de son utilisation dans le système international aujourd'hui. Ainsi, il semble intéressant d'étudier plus en détails ce lien entre démocraties et droit d'ingérence. En effet, si le droit d'ingérence dans ses formes modernes semble être une invention des démocraties, il faut souligner que ce droit reste contesté, et ce par l'ensemble des États, quels que soient leurs régimes politiques.
[...] Pour autant, par ces textes, l'idée d'assistance humanitaire, derrière laquelle se cache le concept de droit ou de devoir d'ingérence, a fait son introduction dans le droit international, même si cette notion n'a pas encore de contours clairement définis Le droit d'ingérence, un instrument utilisé notamment par les démocraties Si le droit d'ingérence a fait son apparition sous la forme d'une ingérence de type humanitaire, il faut souligner qu'il n'y a pas un mais des droits d'ingérence, et qu'ils peuvent avoir différentes justifications. a. Un instrument de démocratisation, de promotion des droits de l'homme . L'ingérence a besoin de justifications, son but étant la promotion d'intérêts considérés comme supérieurs. Ce peut être un impératif de démocratie, de respect des droits de l'homme, des libertés individuelles etc. [...]
[...] En effet, si l'instauration de la démocratie est, en soi, un objectif légitime, et si les peuples y ont droit au sens général, en revanche, et au sens strict, le droit international ne leur octroie pas encore ce droit. Sous ce rapport, l'ingérence justifiée par l'instauration de la démocratie implique un postulat selon lequel les États sont répartis en deux catégories: les États, défenseur de valeurs supérieures, contre les États non respectueux de ces mêmes valeurs. Or, une telle distinction a été critiquée par les opposants à l'intervention américaine en Irak, prenant appui sur le fait qu'une telle position serait proche des conceptions occidentalocentristes des siècles passés distinguant les peuples civilisés des peuples barbares. [...]
[...] a. Les principes du droit international: non ingérence et souveraineté étatique Les principes de non ingérence et de souveraineté étatique sont des concepts clés du droit international public. La Charte de l'ONU, après la Seconde Guerre mondiale, a repris le principe de l'égale souveraineté des États pour encadrer l'ordre international dont elle se voulait le texte fondateur (article paragraphe 1). En corollaire, elle posa aussi à l'article paragraphe 7 l'inadmissibilité de l'intervention et de l'ingérence dans les affaires d'un État. [...]
[...] Dans ces processus, il est évident que les principaux acteurs sont des États démocratiques, soucieux du respect de la paix dans le monde et de principes considérés comme supérieurs. Les ingérences ayant eu lieu en Allemagne et au Japon au lendemain de la Seconde guerre mondiale ont ainsi permis la mise en place de régimes démocratiques durables. Le meilleur exemple récent en la matière est sans doute l'intervention américaine en Irak de mars 2003. Analysée sous le prisme de l'ingérence, elle diffère manifestement des cas antérieurs d'immixtion. L'originalité tient à la justification avancée de l'ingérence. [...]
[...] En effet, le droit d'ingérence est significatif d'une relation inégale entre les États. L'argument du «deux poids, deux mesures» est souvent invoqué: les actions menées au nom des droits de l'homme sont, en effet, soumises à des impératifs de realpolitik, seuls susceptibles d'expliquer l'immunité de fait dont bénéficient certains États violateurs des droits de la personne les plus élémentaires comme la Chine ou le Tibet. Le fait qu'un pays comme la Russie ne soit pas menacé par l'exercice d'un droit d'ingérence humanitaire en Tchétchénie, contribue à faire persister ce sentiment d'impartialité de l'humanitaire et d'inégalité des États face à ce droit comme l'exprimait le groupe des 77 en 2000 à la Havane. [...]
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