Dans le Théetète, Protagoras affirme que l'homme est à la mesure de toute chose. L'homme est en mesure de produire des jugements sur les choses qu'il examine ou qui se présentent à lui. Le peuple est donc à même de produire des jugements sensés. Le principe premier de la démocratie est le peuple. Il s'agit d'un gouvernement du peuple, par et pour le peuple. Ainsi le jugement du peuple apparaît parfaitement justifié. Il est même fondé en droit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Mais cette conception apparaît contradictoire avec la volonté des modernes. Selon Benjamin Constant, les modernes ont en effet un besoin principiel d'indépendance de l'Etat. Les démocraties modernes sont d'ailleurs le plus souvent fondées sur un principe de représentation. Les citoyens se déchargeraient-ils de leur obligations politiques sur les hommes qui les représentent au risque d'en arriver à une crise de légitimité ? Deux visions s'affrontent ici, celle qui voit dans la représentation, le principe d'une indépendance justifiée à l'égard de l'Etat et celle qui prône la crise de légitimité comme justification à l'intervention directe du peuple dans la politique qui est menée. Le terme « seul » renvoie bien à cette dualité. Si le peuple est le seul juge légitime alors les représentants ne sont que des exécutants des décisions venant de la population. Mais le terme juge peut également être compris à un niveau différent, celui de l'aval. Il ne s'agit plus dès lors de juger en amont des décisions mais après leur exécution. Ceci met alors à mal tout le système des élections. Ainsi cette question soulève des enjeux cruciaux pour la politique moderne et démocratique.
[...] Le peuple de par sa volatilité et sa dislocation ne peut être le seul juge légitime. Cependant le principe de démocratie entend le mettre à la première place en tant que juge des actions des politiques. Il est cependant vital de conjurer le risque d'une dégradation de la contre- démocratie en un populisme destructeur et réducteur ; cela suppose la multiplication des modes de surveillance des gouvernants, au travers, par exemple, d'agences citoyennes de notation ou de commissions d'enquête constituées de citoyens tirés au sort. [...]
[...] Doit-on rappeler que le peuple est un agrégat d'individus qui sont par nature différents ? Le problème relevé ici tient à la légitimité d'un jugement fait par un ensemble d'individus différents, aux systèmes de pensée différents. On pourrait voir une incohérence entre la notion de peuple qui décrit une réalité plurielle et la notion de juge qui est par nature unique. Ceci met à mal l'unité du peuple. Sur quoi se fonde le jugement du peuple ? Chez Platon, l'opinion désigne une connaissance imparfaite. [...]
[...] Si le peuple se fonde sur des préjugés pour émettre son jugement, il n'est pas légitime qu'il soit seul juge. De là à revendiquer la présence d'experts en politique, il n'y a qu'un pas qui a été franchi depuis longtemps par les politiciens qui savent s'entourer d'experts compétents. Ceux-ci produisent des rapports à propos desquels les gouvernants doivent prendre des décisions. L'homme est certes à la mesure de toute chose, mais il ne peut pas tout connaître, le peuple non plus. [...]
[...] En démocratie, le juge légitime ne pourrait être que le peuple. Cependant on semble vivre aujourd'hui une crise de la démocratie. Les citoyens semblent ne pas se reconnaître dans la politique menée par les gouvernants, d'où un certain désintérêt pour la chose politique qui peut expliquer les taux records d'abstention que l'on a pu connaître ces dernières années. Il a été proposé que le peuple puisse juger la politique des gouvernants mais la méthode du jury populaire est-elle susceptible, ou non, de rapprocher les citoyens de la politique ? [...]
[...] Le peuple n'est pas nécessairement assez éclairé pour être seul juge. Dans De la Liberté des modernes comparée à celle des anciens, Benjamin Constant affirme que, chez les anciens l'exercice de la liberté était une valeur essentielle et fondatrice alors que chez les moderne, la jouissance de la liberté est perçue comme précieuse. Les modernes ont cependant un besoin principiel d'indépendance de l'Etat. L'individu cherche d'abord à s'épanouir. Ainsi, la délégation des droits politiques laisse du temps pour l'atteinte des droits privés. [...]
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