La notion de démocratie fait actuellement en science politique l'objet d'un paradoxe : elle fait à la fois consensus et controverse. Consensus en ce sens que presque tous et toutes se réclament de la démocratie et se disent démocrates. Controverse, car personne ne semble pouvoir s'entendre sur ce qu'est la démocratie, sur sa nature et ses formes, sur la place réelle de la démocratie dans nos sociétés occidentales, sur l'importance de la démocratie dans l'histoire, etc.
Ainsi, se pencher sur la «démocratie médiévale» est plus problématique qu'il ne l'apparaît. Dans l'histographie occidentale orthodoxe, le Moyen-Âge est une période relativement sombre où le peuple est à la merci des éléments (épidémies, famines, etc.) et de l'arbitraire des dirigeants (guerres, exécutions, etc.). Mettre l'accent sur les espaces de démocratie qui existaient alors revient à briser le mythe qui fait de notre système politique la résurrection de celui d'Athènes près de 25 siècles plus tard. Plus encore, cette démarche nous permet de mettre en évidence deux conceptualisations concurrentes de la démocratie : d'un coté la conception de la démocratie comme un régime politique où la majorité gouverne et de l'autre l'idée que la démocratie est plus un mode de vie visant à gérer le vivre ensemble.
[...] C'est cette tension entre ces deux conceptions différentes de la démocratie qui explique l'aspect problématique de la «démocratie médiévale». Toutefois, tentons de préciser ce que nous entendons par cette expression. Le terme de démocratie médiévale regroupe un ensemble de pratiques et d'institutions qui, à partir du Xième siècle, se développent en Europe occidentale. Cet ensemble est caractérisé par une démocratisation de l'espace public et une prise de parole des habitants, des paysans, des artisans, bref des «sans titres» pour reprendre l'expression de Rancière. [...]
[...] Ainsi, pour ce qui est des assemblées d'habitants, à partir de la fin du XVIIe siècle, on observe une diminution constante du nombre de participant- e-s autorisé-e-s. Ainsi, Badeau constate qu'à l'approche de 1789, qu'à «mesure que les droits des habitants sont reconnus, ils se précisent, et, en se précisant, ils se limitent. La liberté politique, en se formulant, restreint la liberté locale [ De ce fait, la loi du 14 décembre 1789 créé un corps municipal officiel et un conseil général restreint, ce qui signifie dans les faits l'abolition des assemblées communales. Ces dernières ne seront jamais restaurées. [...]
[...] En conclusion, la notion de démocratie médiévale soulève à la fois des enjeux relatifs à notre conception de la démocratie, mais aussi à son histoire. En démontrant l'existence d'espace de liberté et d'égalité à travers une bonne partie du Moyen Âge, son étude déconstruit le mythe occidental de la démocratie comme régime de la majorité. De plus, la disparition de ces espaces au cours de la Renaissance et durant une bonne partie de la modernité remet en question le récit historique qui veut que la démocratie réapparaisse après l'expérience athénienne au tournant du XVIIIe siècle avec l'émergence de l'État-nation. [...]
[...] Pour reprendre sa terminologie, il s'agit d'une société semi-autonome puisqu'elle reste en grande partie déterminée par un imaginaire politique transcendantal et qui n'émane pas complètement d'elle-même. [1]Graeber, David, démocratie des interstices», Revue du MAUSS, nº 26 («Alter-démocratie, alter-économie : Chantiers de l'espérance»), Paris, La Découverte/MAUSS,, p.54 [2]Dupuis-Déri, Francis, «Les anciens ne sont plus ce qu'ils étaient : Réflexion sur l'idée de “démocratie” moderne Martin Breaugh et Yves Couture (dir.), Les anciens dans la pensée politique contemporaine, Québec, Presses de l'Université Laval p Spinoza, Traité de l'autorité politique, Paris, Gallimard p [4]Barbeau, Henry, Droit romain : Du mandatum pecuniæ credendæ Droit français : Les assemblées générales des communautés d'habitants en France du XIIIe siècle à la Révolution, Paris, Arthur Rousseau p.9 Kropotkine, Pierre, L'Entraide : Un facteur de l'évolution, Montréal, Écosociété p Marx, Karl, Le capital, Livre Paris, Gallimard p.715-740 Babeau, Albert, Le village sous l'Ancien régime, Paris, Perrin et cie p Breaugh, Martin, L'expérience plébéienne, Paris, Payot p Castoriadis, Cornelius, La Montée de l'insignifiance : Les carrefours du labyrinthe, IV, Paris, Seuil p. [...]
[...] En effet, face à l'emprise grandissante de l'État et plus particulièrement le développement de la fiscalité étatique perçue comme illégitime plusieurs révoltes (principalement rurales) vont avoir lieu jusqu'à la seconde moitié du XVIIe siècle. Ces résistances s'ancrent d'ailleurs dans une culture populaire (assemblées, rites punitifs, etc.) qui sera d'ailleurs mise à mal avec l'émergence du nationalisme et d'une culture française homogénéisée. Il est intéressant de constater que ces émeutes, attaques des représentants de l'État, etc. sont presque toujours précédées de délibérations en assemblées. [...]
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