démocratie, épreuve de la sécurité, vie politique, héritage philosophique européen, Etat sécuritaire, vie démocratique
30 juillet 2010, après le meurtre d'un jeune homme Rom par un policier, Nicolas Sarkozy prononce un discours à Grenoble sur les thèmes de la sécurité, de l'éducation, de la nationalité, de l'immigration et de la politique de la ville. Il y annonce une guerre engagée contre les trafiquants et les délinquants, et propose entre autres de développer la vidéo surveillance et le durcissement des peines planchers ainsi que la proposition d'un bracelet électronique obligatoire pour les multirécidivistes. Lorsque l'on suit la taxinomie de Michel Foucault, il y a plusieurs modulations de la sécurité : elle est primitivement le châtiment ou l'interdit : « tu ne tueras pas, tu ne voleras pas », puis elle se développe sous la forme du contrôle : la surveillance et le développement des techniques pénitentiaires, et enfin la matrice sécuritaire mène à la prévention.
[...] Mais ces incertitudes sont accrues par ce type de rhétorique sécuritaire. Le désir de vivre ensemble est mis à mal et apparaissent des volontés de se séparer d'un monde que l'on perçoit comme dangereux. Surgissent alors les expulsions de camps de Rom en France, l'Europe forteresse, le développement de murs qui isolent les Etats Unis du Mexique ou Israël de la Palestine, mais aussi les barrières qui protègent les ghettos de riches. Mais au-delà de phagocyter le vivre ensemble, au nom de la sécurité l'Etat bafoue le droit et s'octroie par elle une légitimité, comme avec l'instauration de ces murs illégaux entre Etats Unis et Mexique ou Palestine et Israël. [...]
[...] Ainsi quand la demande sécuritaire émane des citoyens même, quand les attentes politiques sont exprimées en termes de sécurité, quand les aspects subjectifs et objectifs de la sécurité (Emile Durkheim) sont mélangés, cela traduit un désenchantement du politique et un signe de démocraties épuisées par la liberté et les risques qu'elle implique. Ainsi, à la lumière de l'héritage philosophique européen, l'Etat sécuritaire d'aujourd'hui garantit-il le plein développement de la vie démocratique ? La sécurité est une condition nécessaire mais non suffisante de la vie politique. Dans la vision grecque antique, elle doit obéir à la mesure La sécurité n'était pas considérée comme la première des libertés mais justement comme la matrice qui rendait possible son exercice, ainsi la protection ne serait en rien une monnaie pour renoncer à ses droits. [...]
[...] Il n'y a pas d'opposition entre liberté et sécurité, prévention et répression. La sécurité, sine cura, ou l'absence de trouble et d'inquiétudes, ne saurait engendrer plus d'insécurité car dans l'utopie démocratique la pratique délibérative mènerait à l' optime vivere de Spinoza, la sécurité préserve l'humanité du chaos de ce que serait une société apolitique (figurée par l'état de nature). L'idéal démocratique est la diffusion du pouvoir et du savoir, l'enjeu sécuritaire et sa définition ne doivent pas être la prérogative de l'Etat central car En démocratie, le lieu du pouvoir est vide (Claude Lefort), ainsi les représentants du peuple ne sont pas le peuple. [...]
[...] (De la démocratie en Amérique) Alors, l'approche idéologique de la sécurité ne peut pas être confisquée par une parole étatique, ou même celle d'une élite. C'est ainsi que Nozick cantonne le rôle sécuritaire de l'Etat à celui de veilleur de nuit qui aurait la tâche limitée de sauvegarder la propriété privée et la jouissance par les individus de leurs droits. Une tâche limitée afin d'éviter que l'Etat n'outrepasse le sanctuaire de l'éthique. Pour Thomas Hobbes qui n'était pourtant pas spécifiquement démocrate, la sécurité se limitait à pouvoir rester chez soi sans être préoccupé par une possible agression. [...]
[...] Cette forme d'Etat ferait fi des garanties du libéralisme politique au nom du principe de concurrence, le droit et en particulier les principes constitutionnels sont perçus comme des obstacles à la performance économique. L'obsession sécuritaire est devenue un type de gouvernance afin de ne pas faire entrave à la démocratie de marché, l'Etat a pour mission capitale d'empêcher les déviants (immigrés clandestins, marginaux, délinquants, etc.) de nuire à l'autorégulation du marché. La frontière ne passe plus entre la loi et le délit mais entre l'homme économique et les individus jugés rationnels (Michaël Foessel), tel est l'écho du discours de Grenoble. [...]
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