En Afrique, le véritable enjeu de la démocratisation concerne d'abord la capacité à développer des institutions capables de réguler la vie publique et de la soumettre au respect de lois et de principes fondamentaux. Il faut donc y trouver une compétition entre plusieurs factions pour accéder au pouvoir, le pouvoir des citoyens de choisir leurs dirigeants et enfin la reconnaissance de l'inviolabilité des droits civils et politiques assurée par des institutions indépendantes.
La grande difficulté à laquelle se heurte l'Afrique dans son processus de démocratisation, c'est l'absence de res publica, de chose publique, de conscience d'un intérêt commun à tous. Il nous faut néanmoins distinguer entre Afrique du Nord et subsaharienne : dans le premier cas, la prospérité économique laisse espérer une amélioration sociétale (qui est déjà relativement active, comme l'amélioration du sort des femmes au Maroc ou en Tunisie le montre), mais surtout politique. Sans délaisser l'Afrique maghrébine, nous nous concentrerons donc sur l'Afrique subsaharienne.
[...] Le rôle constitutionnel de limitation de l'autorité ne joue donc pas. Les exigences de démocratie et d'Etat de droit se font contre le constitutionnalisme des pères de la Nation. Les nouvelles constitutions des pays démocratiques ne sont pas faites pour l'avenir comme elles le devraient, mais contre le passé, contre le régime dictatorial précédent. De plus, les constitutions africaines n'accordent aucune protection aux minorités ethniques, culturelles. Le changement en trompe-l'œil des années 1990 Durant la guerre froide, les Etats étaient soutenus par l'étranger, à la fois idéologiquement et financièrement : avec la fin de la guerre froide, ce mouvement cesse et les Etats s'affaiblissent, laissant libre cours aux luttes intestines pour la conquête du pouvoir. [...]
[...] La Constitution et l'Etat de droit contre la démocratie Il y a toujours eu un Etat de droit en Afrique (à l'exception sans doute des failed States), car les pères constitutionnels s'y sont attaché sitôt l'indépendance acquise : en revanche, c'est l'existence d'un Etat de droit démocratique qui a posé problème. La volonté de construire des démocraties a fait défaut, et la volonté de créer des Etats nations a véhiculé un ensemble de pratiques qui gangrènent aujourd'hui les Etats africains : népotisme, clientélisme, racisme, mise en avant de pratiques culturelles locales Le fait constitutionnel en Afrique est donc un phénomène plus apparent que réel, car si nombre d'Etats se sont passés de constitutions pendant des années, la Constitution demeure le moyen pour le dirigeant (notamment militaire) d'asseoir son pouvoir : mais l'existence de cette Constitution est ignorée par une bonne part de la population, et surtout elle ne sert pas à définir les conditions d'accès au pouvoir et d'exercice du pouvoir, mais sert en réalité à légitimer le pouvoir en place en lui donnant une consécration démocratique. [...]
[...] L'espoir qui renaît de la société civile La société civile est indispensable comme support à l'Etat démocratique, elle ne saurait être composée que de l'élite dirigeante pas plus que d'une opposition systématique au pouvoir : il faut un véritable partenariat entre les deux. Un besoin urgent d'éducation civique apparaît, comme de normalisation des processus électoraux. La discrimination de certaines minorités comme les Touaregs en Afrique de l'Ouest ou les Banyamulenge et leurs compatriotes Twa[2], en Afrique centrale, demeure une réalité non combattue, car l'Etat conserve toujours très largement le monopole de l'information télévisée (Sénégal, Mali). [...]
[...] Il faut donc mieux orienter l'aide internationale vers la constitution de représentations fiables de toutes les catégories sociales. En réaction à ces violences, on assiste à une multiplication des organisations sociales qui prennent véritablement en charge des services communautaires en termes d'éducation, de santé, de technologie. Il y a donc un réel dynamisme de la société civile africaine qui laisse espérer une démocratisation par le bas, par les communautés d'individus. De même, il est essentiel de fixer un statut juridique et financier clair pour les oppositions, afin d'empêcher leur élimination quasi discrétionnaire par le pouvoir : le corollaire, c'est naturellement la lutte contre la corruption, dont des études montrent qu'elle ne saurait excéder du PNB si l'on souhaite que l'économie du pays considéré décolle. [...]
[...] A problème régional, solution régionale ? C'est toute l'Afrique qui souffre de graves crises de leadership, encore accentuées par l'hypocrisie de l'Occident (et de l'Asie) : la théorie de la Conférence de la Baule[3] a été prouvée fausse, il ne suffit pas aux pays africains de devenir démocratiques pour bénéficier de bonnes relations avec l'Europe, et ce n'est surtout pas une condition nécessaire : il y a des enjeux politiques et stratégiques essentiels, et les partenaires démocratiques n'hésitent jamais à soutenir dictatures, coups d'Etat et à valider des élections frauduleuses quand leurs intérêts sont en jeu. [...]
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