Le mot “décision”, emprunté du latin classique decisio (action de trancher une question débattue, après délibération individuelle ou collective), renvoie étymologiquement à l'idée d'un mouvement emprunt d'une certaine violence. La décision tranche le réel dans le vif, opère une incision, provoque une scission. "La décision est souvent l'art d'être cruel à temps". Ce mot du dramaturge Henry-François Becque porte en lui toute la difficulté du problème qui se pose au décideur public. Sa légitimité l'habilite-t-il à prendre toute décision, y compris en prenant le peuple par surprise, voire à contre-pieds ? Dans la négative, la crise de la société démocratique doit-elle se résoudre par une « participation citoyenne» renforcée, réduisant le rôle du décideur à celui de relais, avec pour écueils le suivisme, le populisme ou pire, l'inaction ?
[...] Dans Le Savant et le Politique, Max Weber affirme qu'« [ ] il y a une opposition abyssale entre l'attitude de celui qui agit selon les maximes de l'éthique de conviction - dans un langage religieux nous dirions : Le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat de l'action il s'en remet à Dieu et l'attitude de celui qui agit selon l'éthique de responsabilité qui dit : Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes L'éthique de responsabilité est donc l'attitude qui, toujours, doit dicter à celui qui décide d'agir avec hauteur et considération et surtout modestie, en faisant primer l'efficacité de la décision Toutefois, la difficulté de dégager un consensus sur chaque décision et de trancher sans faire de mécontents est le propre de l'exercice du pouvoir. L'idéal rousseauiste ignore la complexité de la sphère publique dont parle Habermas. La raison publique n'est pas exempte de toute contradiction et l'art du politique est justement de dépasser ces contradictions pour faire vivre la communauté. II. Ainsi le décideur public doit-il manier l'art de ménager conviction et responsabilité. Parfois, la décision apparaît comme un mal nécessaire qu'il faut savoir mettre en place à temps, sur la base d'une conception renouvelée de la légitimité démocratique. [...]
[...] Récipiendaire de la confiance du citoyen, il doit trancher les questions forcément complexes qui se posent à une société humaine, devant user de maitrise et de tactique. Il doit anticiper les mouvements pour mieux répondre aux attentes sans jamais rompre la confiance qui fonde sa légitimité. C'est être cruel trop tard ou trop tôt qui rompt le crédit de sa politique, et donc son efficacité. Le citoyen, de son côté, ne saurait appeler à sa démission dès lors qu'il ne saisit pas l'intérêt de ses choix, car c'est le temps qui reste le meilleur juge d'une décision. [...]
[...] Dans le Léviathan, Thomas Hobbes décrit ce système de dévolution de la souveraineté qui doit s'opérer du peuple au souverain. Dans une société démocratique, cette dévolution repose sur un rapport de confiance établi par une délibération ex ante et non un débat permanent comme l'idéalise Rousseau et les théoriciens de la démocratie participative. Une délibération intermittente ne signifie pas pour autant que chacun doive se taire quand le souverain prendre une décision. Le débat doit être constant ! Le débat doit notamment être le lieu du maintien de la confiance nécessaire entre le citoyen et le décideur. [...]
[...] Ce serait courir le risque d'une certaine forme de trahison. Le nœud gordien qui traverse l'étude du Contrat Social de Jean-Jacques Rousseau est celui de la représentativité : hostile au modèle des institutions anglaises loué par Montesquieu ou Voltaire, Rousseau soutenait une forme idéale de démocratie athénienne dans laquelle les citoyens, loin de se contenter de voter, participeraient à la vie de la cité au quotidien. Point de cruauté dans une société où chacun, s'unissant à tous, [n'obéit] pourtant qu'à lui-même Point de décision fomentée dans les arcanes secrets du pouvoir, puisque tout se décide au grand jour dans l'Agora. [...]
[...] Décider démocratiquement, pour un homme politique, c'est d'abord se mettre en conformité avec la volonté du peuple qui fonde sa légitimité. Le calcul et, à plus forte raison, la cruauté semblent donc devoir être exclus du champ de son action. Dans la mesure du possible, il ne doit être question de léser quiconque dans l'optique d'un plus grand bien ultérieure, obtenu contre le gré de son bénéficiaire. D'aucuns y verraient une attitude paternaliste sinon autocratique, à l'instar de la démocratie couronnée d'un Napoléon Bonaparte. Tout d'abord, la volonté générale ne saurait être manipulée. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture