Alors que la tradition légicentriste française consacrée par la Révolution réduisait le droit à la loi, votée par le Parlement en tant que représentant de la Nation et de la France, la loi paraît perdre sa place centrale dans l'ordre juridique. Ainsi, d'après Burdeau, la loi est en crise dans la mesure où elle n'occupe plus la place prééminente qu'elle occupait autrefois. Une crise peut se définir selon deux aspects. Ainsi, dans sa définition primaire, la crise se réfère au domaine médical et elle caractérise le moment critique de la maladie, précédent de peu la mort : si l'on prend cette définition de la notion de crise, la crise de la loi précéderait donc la fin de la loi. La deuxième définition du terme de crise est un moment critique, de difficulté et de remise en cause : il s‘agit d'une coupure, d'une fracture. La loi serait alors dans un stade de remise en question, de renouveau. L'idée de crise est étudiée par les sociologies car elle révèle la complexification croissante des systèmes juridiques, que trouve chez Weber, lorsqu'il évoque l'évolution du droit moderne. La loi serait en crise car, en tant que source de droit, elle deviendrait moins importante et ne jouirait plus de la même autorité, ceci étant dû, selon Burdeau, à un phénomène social : « le déclin de la loi est un aspect de la suspicion qui frappe le droit. Celui-ci s'impose une règle qui vient de l'esprit, alors que notre monde ne tolère qu'une discipline qui émane spontanément des choses. La loi au fond n'est plus qu'une solution parmi d'autres, un élément d'un programme dicté par un parti. Sa force est relative à la force politique qui s'impose ».
Dans quelle mesure peut-on dire qu'il y a une crise de la loi ? S'agit-il de l'efficacité des lois qui est en déclin ou s'agit-il de la loi perdant de sa légitimité face à des normes concurrentes et un contexte qui lui est hostile ? Enfin, la crise de la loi est-elle vouée à perdurer en raison de lacunes intrinsèques ou peut-on relativiser la crise et étudier des solutions pour y remédier ?
[...] Comme le souligne J. Chevallier dans La dimension symbolique, la qualité de la production législative tend à se dégrader ; de moins en moins lisibles, souvent obscurs, parfois contradictoires, les textes ne sont plus placés sous le signe de la cohérence et de la rationalité ; le crépuscule de l'art législatif se traduit par une dégénérescence de la forme juridique Cette illisibilité de la loi pose le problème de son accessibilité. En effet, étant donné le nombre de textes, aucun citoyen, et même aucun juriste, ne peuvent prétendre maîtriser le droit. [...]
[...] L'inflation normative dénature la loi 1. L'inflation législative est un fait entravant pour la pertinence et la clarté des lois promulguées. L'inflation législative peut d'abord être traduite par des chiffres : ainsi, la totalité des journaux officiels parus entre 1804 et 1850 contient moins de lois qu'il n'en est aujourd'hui promulgué en une année. Autre exemple, la réglementation des loyers a été modifiée, sur les vingt dernières années, en moyenne une fois tous les six mois. De même, en 1990, la réglementation fiscale a été modifiée 159 fois (modifications législatives ou réglementaires), soit une moyenne d'une modification tous les deux jours. [...]
[...] En effet, ce rapport comptabilisait 59 codes législatifs, plus de 200 nouvelles lois adoptées par an ainsi qu'un nombre croissant d'ordonnances. L'épaisseur du recueil de lois promulguées chaque année a été multipliée par six en 50 ans, ceci étant également dû au nombre croissant de producteurs de normes (expression de Renaud Denoix de St Marc, vice-président du Conseil d'Etat. En effet, les organisations internationales, l'Union européenne, le gouvernement et le Parlement, les autorités administratives indépendantes, disposent d'un pouvoir réglementaire. Enfin, les collectivités locales possèdent des compétences plus nombreuses, notamment outre-mer. [...]
[...] L'inflation et la banalisation de l'activité législative éclipsent le fait que la loi est à l'origine un produit de la conception doctrinale du droit. Or les lois perdent leurs qualités doctrinales en se multipliant. La loi est ainsi de plus en plus une solution particulière au lieu d'être un énoncé abstrait : elle doit en effet être normalement un principe distinct et indépendant des faits. Ce détournement de la nature de la loi est principalement dû à cette inflation législative et au fait que la loi déborde des domaines du droit qui sont les siens pour se préoccuper des problèmes particuliers de la vie quotidienne. [...]
[...] Il apparaît ainsi un dysfonctionnement de la communication entre le gouvernement et le Parlement. En effet, le Sénat dénonce, dans son rapport sur l'application des lois, un retard dans la sortie des décrets ainsi que dans l'application des lois. Selon le Sénat, moins de 20% des textes entrent en application durant l'année de leur ratification, y compris les textes votés en urgence. Ainsi entre 2001 et des lois ne sont pas appliquées ne le sont que partiellement et 11% des lois sont normalement appliquées. [...]
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