Cornélius Castoriadis (1922-1997) apparaît comme l'un des auteurs contemporains les plus féconds et les plus originaux. Tout à la fois économiste, professeur et psychanalyste, il s'est également engagé dans les luttes sociales et politiques notamment à travers le groupe autonome et le revue homonyme Socialisme ou barbarie (avec C.Lefort, J-F Lyotard). De ses premières critiques de la «mystification stalinienne », et du phénomène bureaucratique en Union Soviétique dans les années 40 et 50, en passant par l'analyse de la dynamique du capitalisme moderne et l'organisation de la lutte ouvrière, aboutissant à une critique du marxisme et une redéfinition de la théorie révolutionnaire, toute l'œuvre de Castoriadis a été élaborée autour d'une interrogation politique : Comment les hommes peuvent-ils s'autogouverner ?
Son projet en effet était l'instauration d'une société autonome rendant possible l'exercice, par les individus, de leur liberté effective. Cette exigence d'autonomie se manifeste en premier lieu par le refus de la société existante, «inhumaine » et colonisée par l'imaginaire capitaliste(«maximisation de la croissance et du profit par l'expansion illimitée de la maîtrise rationnelle scientifique et technique »(MM)), l'imaginaire définissant à la fois le style de vie d'une société, l'«esprit d'un peuple », et d'une époque. Par la suite cette exigence doit prendre la forme d'une exigence révolutionnaire. La révolution reste au centre de sa vision : elle est le moment inaugural de l'autonomie et vise l'instauration explicite d'une «société autonome » capable de perpétuellement questionner ses propres institutions. Castoriadis n'a cessé d'afficher son attachement au projet de société défini sur «le contenu du socialisme » et fondé sur l'autogestion généralisée, la démocratie directe et l'égalité. Le dilemme "socialisme ou barbarie » énoncé en 1949 reste parfaitement pertinent.
L'exigence révolutionnaire s'investit d'abord dans le mouvement ouvrier en lutte pour l'instauration du socialisme. Mais, dès le début des années 50, il prend conscience de l'échec de la révolution socialiste. A travers l'analyse de la société soviétique, il constate non pas l'émergence d'une société autonome mais une société bureaucratique qui perpétue la séparation entre dirigeants et dirigés. Dans cette perspective il envisage la »bureaucratie » comme l'élément commun aux systèmes politiques de l'Est et de l'Ouest. Ce qui les distingue, c'est l'intensité de la pratique de l'interventionnisme étatique.
Ces constatations ont amené Castoriadis à entreprendre un réexamen critique du marxisme, devenu une simple idéologie, et une redéfiniton du contenu du socialisme. En effet, il n'existe plus de «lois » de l'histoire, ni de contradictions d'ordre économique qui déterminent la ruine inéluctable du capitalisme et l'avènement non moins inéluctable du socialisme. C'est au contraire la lutte des hommes pour la maîtrise de leur propre vie et par conséquent pour l'autonomie qui met en crise le capitalisme et ouvre ainsi la possibilité d'une société libre. Dans la société capitaliste bureaucratisée, à presque tous les niveaux de la pyramide, ses membres sont assujettis et donc privés de tout pouvoir sur leur propre existence. Si bien que la distinction politique pertinente sépare désormais ceux qui acceptent le système de ceux qui le combattent : « C'est toute la société qui est concernée par la révolution, et toute, hormis une infime minorité »(DH).
Le contenu du socialisme se définit dès lors en termes politiques : il est l'autogestion par les travailleurs de leur propre travail et, au-delà, de la société. A partir de cette définition il est possible de déterminer les objectifs du mouvement ouvrier : il s'agit d'une part de conquérir la possibilité de gérer le processus de travail et d'autre part d'en venir à gérer la société dans son ensemble en fixant eux-mêmes les modalités de leur vivre ensemble.
[...] Il est donc évident que Castoriadis s'oppose farouchement à toute idée de représentation politique. Il la considère comme une aliénation de la souveraineté des représentés vers les représentants. Cette conception hostile à la vision républicaine (Siéyes, Madison) qui suppose la création d'un corps choisi, d'une «aristocratie naturelle gérant les affaires de la cité se rapproche de celle de Rousseau affirmant que les Anglais se sentent libres parce qu'ils élisent leur Parlement, mais qu'en réalité ils ne sont libres qu'un jour tous les cinq ans. [...]
[...] - La sphère publique /privée (l'agora) est le marché-lieu de rassemblement et se présente comme le domaine dans lequel les individus se rencontrent librement, discutent, contractent entre eux. Ici encore, formellement et en principe le pouvoir ne doit pas intervenir. - La sphère publique/publique (l'ecclesia) est le lieu du pouvoir, où se prend les décisions. L'ensemble des oligarchies libérales contemporaines se caractérisent par le devenir privé de cette sphère c'est-à-dire son appropriation par des groupes particuliers (classe dirigeante, les partis, les lobbies). Par conséquent une des conditions essentielles de l'existence d'une société autonome (démocratique) est que la sphère publique/publique deviennent effectivement publique. [...]
[...] Ailleurs, constate Castoriadis, les lois ne sont pas crées par les hommes à la suite d'une confrontation mais héritées de la tradition, de la coutume. Il ne faut pas, comme il le répète sans cesse faire de la démocratie athénienne, un «modèle mais simplement un «germe La plus fondamentale de ces institutions est l'assemblée du peuple (ecclésia) qui «légifère et gouverne assisté dans la cité athénienne par un conseil, la boulè : c'est la démocratie directe. Ceci emporte trois conséquences : - C'est le peuple qui gouverne et non pas des «représentants du peuple. [...]
[...] Bien que rejetant les constructions de Castoriadis, Lefort place également au centre de son analyse politique l'invention de la démocratie. L'originalité du pouvoir démocratique réside dans son caractère inappropriable, c'est un «lieu vide : la liberté se maintient tant que le pouvoir est reconnu comme interdit à l'appropriation des dépositaires de l'autorité publique, tant que son lieu est jugé inoccupable (Essais politiques). La position d'un pouvoir inappropriable, remis en jeu périodiquement, a pour corollaire l'instauration d'un espace public au sein duquel les échanges entre les hommes sont soustraits à l'autorité du pouvoir. [...]
[...] Si bien que la distinction politique pertinente sépare désormais ceux qui acceptent le système de ceux qui le combattent : C'est toute la société qui est concernée par la révolution, et toute, hormis une infime minorité Le contenu du socialisme se définit dès lors en termes politiques : il est l'autogestion par les travailleurs de leur propre travail et, au-delà, de la société. A partir de cette définition il est possible de déterminer les objectifs du mouvement ouvrier : il s'agit d'une part de conquérir la possibilité de gérer le processus de travail et d'autre part d'en venir à gérer la société dans son ensemble en fixant eux-mêmes les modalités de leur vivre ensemble. L'identification de la démocratie à la société autonome Castoriadis ne définit pas directement la démocratie. [...]
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