Depuis 1974, le monde connaît ce que Samuel Huntington a qualifié de « troisième vague » de démocratisation. Cette troisième vague correspond aux deux décennies d'expansion de la démocratie à travers le monde qui ont suivi la révolution des œillets au Portugal, période pendant laquelle le nombre de démocraties au monde a connu une augmentation exponentielle puisqu'il est passé de 41 à 76, voire 117, selon la façon dont celles-ci sont comptabilisées. Après chacune des deux vagues précédentes d'expansion démocratique, la première allant de la guerre d'Indépendance des États-Unis à la fin de la Première Guerre mondiale, et la seconde ayant suivi la Deuxième Guerre mondiale, la démocratie a nettement fait marche arrière. Son premier recul remonte aux années 1920 et 1930, parallèlement à la montée du fascisme et du communisme, et le second s'est produit dans les années 60 et au début des années 1970, quand les nouvelles démocraties d'Afrique et d'Amérique latine, fragiles, ont succombé à la dictature de partis et de militaires.
Un phénomène du même genre était censé se produire au cours de la dernière décennie, dans la foulée de la troisième vague, mais il n'a pas eu lieu.
En quelques années, après l'Europe du Sud, l'ensemble des pays d'Amérique latine abandonne donc les formes autoritaires de régime, faisant apparaitre Cuba comme un anachronisme.
La démocratie y semble aujourd'hui bien consolidée.
Mais qu'est véritablement la consolidation démocratique et quelles sont les dimensions qui caractérisent le concept ?
Les théories sur la question sont diverses et variées.
La recherche sur la consolidation démocratique exige nécessairement que quelques années se soient écoulées depuis le début du processus démocratique.
Certains pensent qu'un régime peut être considéré comme consolidé quand ont lieu des élections libres et institutionnalisées et quand les candidats démocratiquement élus ont la capacité de mettre un veto à toutes tentatives de retour à un régime autoritaire. Aucun des groupes politiques ne doit alors croire qu'il existe une alternative au processus démocratique. Au final, la démocratie doit être perçue comme la seule alternative possible.
A côté de cette définition minimaliste de la consolidation démocratique concentrée sur le rôle dominant des élections, d'autres définissent la consolidation plus largement comme l'institutionnalisation d'une série de normes et de structures démocratiques.
Cette interprétation voit la consolidation essentiellement comme un processus de « congélation » du système démocratique provoqué par le dépassement du temps.
Ces conceptions de la consolidation ont été critiquées d'une part, pour leur caractère empirique empêchant à la fois la définition et l'examen de leurs traits particuliers, l'analyse de leurs caractéristiques, de leur mode d'évolution ainsi que les chances de survie de chacune ; d'autre part, pour le fait de ne voir la survie d'un régime démocratique qu'en fonction de sa durabilité dans le temps.
Selon J. M. Blanquer, dans son article Consolidation démocratique ? Pour une approche constitutionnelle, le passage à la démocratie en Amérique latine a été perçu selon deux approches distinctes :
une analyse cyclique, plutôt dominante, selon laquelle la région est sous l'emprise depuis deux siècles « d'un mouvement de balancier entre autoritarisme et démocratie. » faisant qu'il y aurait alternance entre les systèmes et non pas à l'intérieur.
une analyse linéaire s'intéresse, quant à elle, aux étapes de la construction démocratique en Amérique latine et la comprend davantage comme « une avancée dialectique dont la dernière vague démocratique serait un aboutissement. »
Ces deux approches prouvent bien la spécificité historique de l'Amérique latine par rapport aux autres régions du monde et les difficultés d'analyse qui peuvent en résulter.
Il apparaît dès lors légitime de s'interroger sur la survie des régimes démocratiques de la troisième vague en Amérique latine.
Nous pourrons donc voir dans un premier temps la particularité des facteurs assurant la pérennité des régimes démocratiques latino- américains (I) ; à la suite de quoi nous étudierons les risques auxquels ces nouvelles démocraties sont confrontées depuis (II).
[...] Dans un système partisan naissant, les électeurs tendent à être plus sensibles à l'attrait de telle ou telle personnalité qu'à l'affiliation partisane, ce qui favorise les leaders populistes dont l'intérêt n'est pas de mettre en place des institutions solides. Tandis que dans un système partisan plus institutionnalisé, les partis cherchent plus clairement à conquérir la victoire aux élections, et accèdent dès lors au pouvoir par des moyens pacifiques. Dans le contexte de l'étude de la consolidation démocratique le système de partis est envisagé en tant que condition conduisant à l'endurance démocratique, et non comme une dimension des résultats attendus. [...]
[...] De plus, aux débuts de ces jeunes démocraties, nombre de propriétaires terriens étaient des hommes politiques locaux et certaines parcelles en Colombie notamment appartenaient à des entreprises nationales. C'est l'Etat dans son essence qui est atteint par ce développement de pouvoirs infra étatiques dans ce cas. Ensuite, on peut remarquer que les armes généreusement distribuées en Amérique centrale pendant la guerre froide, n'ont pas seulement été dévolues aux autorités et continuent à être utilisées pour résoudre des problèmes de subsistance (dans la plupart des cas) soit en s'engageant avec ses armes au service d'un puissant, soit en entrant dans le banditisme. [...]
[...] Un des problèmes centraux de la consolidation démocratique réside donc dans la soutenabilité de ce processus dont la réussite est corrélée à une triple capacité de : - limiter les appétits, - différer dans le temps les redistributions et - le faire accepter par les populations désireuses d'avoir accès aux ressources. Ce problème a été modélisé par A. O. Hirschman avec la métaphore de l'effet tunnel que C. Offe a appelée l'économie politique de la patience Or, la capacité d'attente de la population peut rapidement s'éroder, surtout lorsque les expectatives sont fortes ; d'où la délicatesse que requiert la consolidation démocratique en Amérique latine. [...]
[...] Si les accords politiques ont été cruciaux pour la mise en place et la consolidation des démocraties de la seconde vague en Amérique Latine, dans celles de la troisième vague elles le sont tout autant même si elles ne prennent pas la forme d'accords formels. Dans les pays dans lesquels de tels accords n'ont pas été largement endossés, ils ont été remplacés par une forme plus fluide et moins structurée de représentation politique, dans un espace politique plus incertain où les institutions jouent un rôle mineur et où les droits réciproques et les obligations ne façonnent pas le débat public. [...]
[...] Pour une approche constitutionnelle, Pouvoirs, numéro COUFFIGNAL, Georges, Amérique latine tournant de siècle, Les dossiers de l'état du monde, La découverte&Syros, Paris COUFFIGNAL, Georges, Réinventer la démocratie, le défi latino-américain, Paris, Presses de la fondation nationales de sciences politiques DABENE, Olivier, La région d'Amérique Latine. Interdépendance et changement politique, Paris, Presses de la fondation nationales de sciences politiques GRASSI, Davide, Democratic Consolidation in Latin America: Recent Theoretical Developments, Facilitating Conditions and Outcome, Swiss Political Science Review, Vol.4, Issue p7-32. GRASSI , David, La survie des régimes démocratiques : une AQQC des démocraties de la troisième vague en Amérique du Sud, Revue internationale de Politique Comparée, vol.11, p. 17-33. [...]
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