Le terme “société civile” a trouvé depuis
quelques années une nouvelle jeunesse, à la fois
dans les usages linguistiques extrêmement divers
qui lui correspondent et dans les études que
sociologues et politologues lui consacrent en
abondance. Sans doute le point culminant de ce
renouveau d'intérêt fut-il marqué par les bouleversements
de 1989 et 1990 en Europe centrale
et orientale, où l'hypertrophie de systèmes étatiques
parvenus à saturation se trouva brutalement
minée par des “forces profondes” où se
trouvaient mêlés, de façon souvent confuse, des
éléments politiques, nationaux, communautaires,
religieux et proprement sociaux. Mais les
enjeux socio-politiques de l'idée de société civile
restent aujourd'hui essentiels, depuis que dans
d'autres régions du monde celle-ci s'est vue
affectée par l'empiètement du dogme religieux
et que la crise de la représentation politique, de
manière plus générale, a relancé le débat entre
individualisme, communautarisme et un universalisme
aux contours mal définis.
Nous avons analysé ailleurs (1992 et 1993) la
signification du phénomène dans ses projections
internationales, et les déplacements terminologiques
qui l'accompagnent. Le terme “société
civile internationale”2, que nous avons proposé
pour désigner certaines catégories d'acteurs du
système international, y référait à un ensemble
hétérogène dont nous tenterons dans les pages
qui suivent d'analyser les composantes dans
leurs cadres nationaux et (mono)culturels. Nous
ne reviendrons donc pas sur les prolongements
spécifiquement internationaux de la notion et
nous attacherons, dans une perspective plus
comparative, aux filiations politiques et philosophiques
du terme pour explorer la véritable subversion
terminologique qu'induit l'évolution des
ensembles socio-politiques du monde contemporain
et dégager la stéréotypie des notions
engendrée par cette évolution.
[...] Il aboutit de la sorte à une double contradiction : celle qui oppose la société civile à l'Etat, et celle qui oppose les intérêts de classe au sein de la société civile. Parmi les classes sociales, celle qui est appelée à disparaître se voit dotée d'un statut paradoxal, puisqu'en même temps elle appartient à la société civile en tant que classe, et qu'elle ne lui appartient pas dans la mesure où elle la nie. La double contradiction découlant de la théorie de Marx devait être résolue, d'abord par la construction d'un Etat coextensif à la société tout entière, ensuite par le dépérissement de l'Etat dans une société sans classes, donc sans conflits ni contradictions. [...]
[...] Les premiers ont donc pu, à la faveur de la révolution de l'information et des communications, tisser des liens transfrontières à l'échelon régional, continental ou planétaire. C'est le phénomène qui correspond à la notion de “transnationalité”, qu'elle soit le fait des organisations internationales non gouvernementales (OING) ou, dans un sens plus fréquent en anglais, des acteurs économiques (en premier lieu les sociétés multinationales). Or c'est par ces voies transversales (par rapport à la territorialité des Etats) que certains acteurs non étatiques, ici internationaux ou transnationaux, se transforment en acteurs non territoriaux, transcendant par là la géopolitique des Etats. [...]
[...] C'est ainsi que la société civile, d'abord confondue avec la société globale et opposée à l'état sauvage et non civilisé, en arrive à ne plus désigner que cette partie de la société qui s'oppose à l'Eglise ou à l'Etat. Même si l'équivalence société civile/Etat devait se maintenir pendant longtemps encore, concurremment à la dichotomie formée des deux mêmes termes, puisque Kant pouvait encore écrire dans sa Rechtslehre : état du rapport des individus les uns avec les autres dans le peuple est appelé l'état civil (status civilis) et leur tout ( . ) est l'Etat (civitas)”; membres d'une telle société (societas civilis), c'est-à-dire l'Etat, unis en vue d'une telle législation, s'appellent les citoyens [Gervais 1989]. [...]
[...] Les polarités de la notion de société civile et de celle, plus hypothétique, de société civile internationale, qui en est la transposition au niveau transnational, renvoient à autant de phénomènes qui se deploient en rapports contradictoires. C'est l'ensemble de ces forces, de ces “attracteurs” qui apparaissent dans la représentation du “prototype” - au moins un - de la société civile, dans le sens où celle-ci constitue un agrégat de catégories qui s'organisent autour de l'un de ses centres, l'une de ses à la faveur des contextes sociaux, politiques et culturels. [...]
[...] C'est la raison pour laquelle je préfère considérer que la société civile fournit le terrain de la constitution de la liberté, y compris ses composantes économiques. Les deux sont nécessaires, société civile et Etat, mais chacun possède sa raison d'être et sa réalité autonome propres”. La définition de Reinhart Bendix [1976, p. 523] va dans le même sens : la société civile représente “toutes les institutions dans lesquelles les individus poursuivent des intérêts communs sans direction ni interférence du gouvernement”. [...]
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