L'histoire d'un peuple, à partir du moment où il possède des institutions démocratiques, est celle d'une succession de choix.” En effet, la plupart des protagonistes du champ politique considèrent le vote comme l'expression d'un choix. Il est considéré comme “l'énonciation d'une opinion politique”. Recevoir des voix lors d'un vote, c'est, pour un homme politique, recevoir un assentiment, une adhésion à un programme. L'équation un citoyen, une voix, une opinion postule que chaque voix a une égale valeur, ce qui permet au délégué nouvellement élu de compter les voix, de se les approprier, de les agréger en un électorat homogène. L'élu ne peut afficher de légitimité proprement politique que si les électeurs ont effectué leur choix en fonction de critères eux aussi politiques. L'enjeu est donc de taille pour les hommes politiques, et c'est, comme le dit D. Gaxie, “à travers (les) luttes pour l'interprétation des résultats et l'authentification du capital électoral que s'effectue la transmutation des décisions de chaque électeur en opinion politique.” Les citoyens sont donc réputés avoir exprimés dans les urnes des choix politiques, reflets de leurs opinions politiques et de leur adhésion à un programme.
C'est l'intérêt de chacun pour la politique qui pousse à se tenir au courant des enjeux et à former son opinion, exprimée notamment lors des votes. L'Etat moderne et les valeurs démocratiques dont il doit être l'expression supposent donc que tous puissent avoir un égal accès à la politique, que tous aient un intérêt égal et universel pour la politique. Les citoyens sont supposés avoir une certaine compétence politique, qui leur permet d'effectuer des choix en connaissance de cause. Daniel Gaxie définit cette compétence comme l'aptitude à opérer une construction politique de l'espace politique. C'est seulement dans un espace construit, à plusieurs dimensions, que des mesures, des actions peuvent prendre sens, que des acteurs peuvent prendre position. La réalité est souvent cependant bien différente: la politique semble lointaine à une grande majorité de la population, qui n'en attend pas grand chose, ou ne la comprend pas, et conclut que “ce n'est pas son affaire”. L'espace politique est autonome, doté de ses propres règles, de son vocabulaire, peuplé de professionnels, c'est à dire d'agents qui vivent pour et de la politique, mais le nombre de personnes qui y participent est restreint. Lorsque le droit de vote était encore soumis à un critère censitaire, les populations admises à voter étaient considérées comme dotées d'une compétence politique, alors que les masses populaires étaient “inintelligentes”. A-t-il suffi d'ouvrir le droit de vote au plus grand nombre pour qu'instantanément, elles s'ouvrent aux enjeux politiques et prennent une part active et éclairée aux débats? Nous étudierons donc dans un premier temps la manière dont ont été accordées au peuple souveraineté et compétence politique, puis dans un deuxième temps les inégalités sociales actuelles face à la compétence politique.
[...] Le vote, au départ, n'est pas un acte politique. C'est d'abord un acte social, réapproprié selon des schèmes de perception préexistants, par lequel l'individu marque son appartenance à un groupe. La question politique posée lors des élections va donc être retraduite en termes sociaux, et quand l'électeur va commencer à exprimer un vote personnel, c'est sur des critères éthiques, moraux, que son choix va s'effectuer. Les premières élections enregistrent en fait l'ordre social établi, elles ne font que l'accréditer. Les résultats sont impressionnants: les députés sont souvent élus à l'unanimité dans bien des communes, et sinon ils sont élus à une large majorité. [...]
[...] Gaxie, Le Cens caché, p.9. Gaxie, Le Cens caché, p.47 Cf. [...]
[...] Faute de pouvoir produire un discours cohérent, la reprise plus ou moins habile du discours des professionnels constitue une solution honorable pour nombre de personnes. La compétence politique (capacité à organiser, hiérarchiser, valoriser, comprendre politiquement les éléments constitutifs du champ politique selon des schèmes de perception diffusés par les partis) réelle, et non seulement comme reprise des discours professionnels, n'est donc que peu à la portée des profanes. Elle est encore inégalement répartie dans la population, mais suffit-il de le vouloir pour acquérir une compétence politique? La compétence politique semble, d'après les travaux de D. [...]
[...] La compétence politique apparaît également dans une certaine mesure liée à la maîtrise des joutes verbales en cours dans le champ politique: le maniement d'idées abstraites, la discussion sont des compétences sans lesquelles il n'est pas possible d'occuper une place dans la sphère politique. Avoir une compétence politique, c'est connaître les acteurs et les enjeux, mais aussi comprendre la pièce qui se joue. La scène politique française ne s'organise pas entre la cour et le jardin, mais entre droite et gauche. [...]
[...] Ainsi les femmes sont moins politisées que les hommes, la compétence politique varie en fonction de l'âge, c'est à dire de l'implication dans la vie active mais aussi de la génération (les femmes d'aujourd'hui sont plus politisées que celles de cinquante ans plus tôt), et du niveau d'études. Mais tous ces facteurs ne suffisent pas à expliquer un rapport au politique. En effet, même si son origine et sa socialisation primaire ont une importance décisive dans la vie d'un individu, tous les parcours sont différents, et des événements plus récents peuvent amener les individus à s'occuper plus de politique, à prendre des positions plus tranchées, ou au contraire à se retirer. [...]
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