L'idée de rapprocher, pour les comparer, deux objets d'études historiquement éloignés de vingt-cinq siècles peut surprendre : quoi de commun, en effet, entre la plus puissante thalassocratie du monde hellénique, Athènes, et une ville moyenne d'un pays émergent, Porto Alegre ? Entre une cité qui a été, plusieurs siècles durant, le point de rencontre de toutes les grandes cultures et le point de fusion d'une exceptionnelle civilisation et un modeste point sur la carte du globe, relativement connu depuis seulement une dizaine d'années ? Entre une époque qui ignorait tout du capitalisme, des mass media, de la nation, du temps linéaire, du christianisme et une autre qui vit sous leur empire ?
Pourtant, derrière la création historique incessante, se cache des permanences. Au-delà de l'expérience athénienne et des changements de décors historiques et géographiques, sont posées, à nouveau frais, avec Porto Alegre, des questions philosophiques et politiques radicales : quelle est la source de nos lois ? nos lois sont-elles justes ? qui gouverne et au profit de qui ? C'est avec ces questions que surgit l'autonomie (autos « soi-même » et nomos « loi ») soit le fait de se donner à soi-même sa propre loi. Le philosophe Cornélius Castoriadis rappelle l'intérêt d'une telle démarche : « Qu'est-ce que cela veut dire ? Que dans ces sociétés, aussi bien en Grèce Ancienne qu'en Europe moderne, émerge une nouvelle forme de l'existant, de l'être social-historique, et même de l'être tout court : ces sociétés mettent elles-mêmes en question leur institution, c'est-à-dire la loi de leur existence. C'est la première fois que nous voyons un être quelconque mettre en question explicitement et changer par une action explicite, la loi de son existence. » L'historien américain Moses Finley précise dans Démocratie antique et démocratie moderne les implications historiques de ces questionnements : « Ce sont les Grecs, somme toute, qui ont découvert non seulement la démocratie, mais aussi la politique, l'art de parvenir à des décisions grâce à la discussion publique, puis d'obéir à ces décisions, comme condition nécessaire pour une existence sociale civilisée. [...] C'est que les Grecs furent les premiers - nul ne le contestera - à réfléchir systématiquement la réalité politique, à l'observer, à la décrire, à la commenter, et en définitive à formuler des théories politiques. »
S'inscrivant pleinement dans cette histoire, la ville de Porto Alegre, forte de son slogan « Démocratiser radicalement la démocratie », dynamite le consensus démocratique moderne en prolongeant les mises en formes politiques autonomes : « En politisant fortement la gestion, en concevant le social comme le terrain d'une lutte entre groupes antagonistes, en appelant à bousculer la démocratie représentative pour instaurer un nouvel équilibre des pouvoirs, elle peut même sembler [...] être aux antipodes [des timides expériences françaises de démocratie participative]. Les dirigeants pétistes de Porto Alegre revendiquent avec fierté la dimension « universelle » de leur expérience, déclarant explicitement qu'elle porte dans son principe un nouveau modèle politique, qui représente une alternative face aux démocraties classiques. » C'est à ce titre expérimental que cette ville du sud du Brésil est convoquée aux côtés de l'Athènes du Ve siècle pour étudier la nature démocratique de ces deux régimes (...)
[...] C'est la première fois que nous voyons un être quelconque mettre en question explicitement et changer par une action explicite, la loi de son existence[1]. L'historien américain Moses Finley précise dans Démocratie antique et démocratie moderne les implications historiques de ces questionnements : Ce sont les Grecs, somme toute, qui ont découvert non seulement la démocratie, mais aussi la politique, l'art de parvenir à des décisions grâce à la discussion publique, puis d'obéir à ces décisions, comme condition nécessaire pour une existence sociale civilisée. [...]
[...] Ibid., p.78. Ibid., p.82. Alors qu'elles sont, on l'a vu, très sophistiquées, efficaces et plus juste que la plupart des démocraties représentatives. Porto Alegre teste la démocratie participative Manière de voir, Là où le Brésil va , p. 59. [...]
[...] Jean-François Kervégan, Dictionnaire de philosophie politique, PUF, Paris p Moses Finley, Démocratie antique et démocratie moderne, Ed. Payot & Rivages p. 64-65. Max Weber, Le savant et le politique, Editions La Découverte, Paris Ibid., p. 65-66. Marion Gret, Yves Sintomer, Porto Alegre. L'espoir d'une autre démocratie, Editions La Découverte, Paris p. [...]
[...] Outre la représentativité, le degré de participation et le niveau d'efficacité permettent de mesurer la qualité et la dynamique d'un régime démocratique. Un des aspects fondamentaux de la démocratie antique réside dans la correspondance quasi absolue entre celui qui vote un impôt et celui qui le paie, entre celui qui est favorable à la guerre et celui qui part faire la guerre étant entendu qu'il s'agit ici de majorité et qu'un citoyen peut également très bien avoir voté contre telle ou telle proposition ou loi et être contraint, par la loi de la majorité, à agir d'une façon contraire à son vote. [...]
[...] Stefan Zweig, Le Brésil, terre d'avenir, Editions de l'Aube Observatoire des inégalités, Pauvreté et inégalités au Brésil : http://www.inegalites.fr/spip.php?article499#nh1 Selon les Nations-Unis les les plus riches de la population mondiale concentrent des richesses alors que les les plus pauvres se contentent de Marion Gret, Yves Sintomer, Porto Alegre. L'espoir d'une autre démocratie, Editions La Découverte, Paris p Ibid., p L'élection de ses membres au scrutin proportionnel explique en partie cet échec. Ibid., p Ibid., p Ibid., p Ibid., p Ibid., p. 33-34. Ibid., p Ibid., p Ibid., p Ibid., p Alain Joxe, MAUSS, Malaise dans la démocratie, p.44. Ibid., p.63. [...]
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