« Un spectre hante le monde : celui des communautés closes, exclusives et guerrières », écrit Pierre-André Taguieff, dans La République enlisée : si la lutte contre tous les communautarismes - c'est-à-dire la version dégradée du lien communautaire - doit bien être la raison d'être du républicanisme - qui, lui, vise à l'intégration par le consentement et le projet politique -, cette lutte ne doit pas pour autant conduire à diaboliser tous les liens communautaires.
Le cas de la France est sans doute ici le plus révélateur, car nulle part ailleurs on n'a poussé si loin les principes républicains et l'idée de leur universalité.
C'est donc de France que l'on considérera cette opposition communautarisme-républicanisme, avant de voir si la France ne peut pas trouver dans les communautés elles-mêmes, les moyens d'un dépassement de l'opposition qui ne soit pas contraire aux valeurs qui la fondent.
L'aspiration des communautés à l'équité contrevient-elle à l'essence égalitaire de la République ? Souvent érigé en modèle universel, le projet égalitaire de la République Française est sans commune mesure. Mais il n'est pas forcément celui qui nous divise le moins.
[...] À cela, la République doit s'employer, en dérogeant, peut-être, momentanément, à une égalité sanctifiée et monolithique -monolithique parce que sanctifiée de tous les citoyens, et en ajustant -à proprement parler- les valeurs qui la fondent aux données nouvelles, qui sont les derniers mots de notre roman national. Le compromis avec le réel, s'exclamait Jaurès, n'est pas la compromission de l'idéal : soyons dignes de l'héritage républicain, sachons conjuguer l'idéal égalitaire à l'universelle exigence d'équité. Rappelée par le Conseil Constitutionnel en 1991 : un autre ‘peuple', en l'occurrence corse, ne peut être une composante du peuple français, car ceci introduirait une discrimination entre les Français : le peuple est composé de l'ensemble des citoyens égaux en droit, et entre lesquels aucune distinction ne peut être fondée. [...]
[...] Le problème réside donc ici dans le fait que la République, ne reconnaissant que l'égalité des citoyens, méconnaît les revendications de ceux qui s'estiment moins égaux que d'autres lésés par rapport aux autres : ne considérant que l'égalité verticale des citoyens, elle oublierait l'égalité horizontale entre les citoyens. D'où une expression des particularismes pour souligner les attentes, conçues comme légitimes, de certains membres du corps social. Si la France ne participait pas à la survivance des plus faibles, il y aurait iniquité, mais si elle intervenait, dans le sens d'une inégalité positive notamment, elle se compromettrait en ne respectant plus cette valeur sacrée et sacralisée que constitue l'égalité. [...]
[...] Si la République résiste c'est qu'elle répond à une pression contraire, centripète, qui voudrait remettre en cause le travail unificateur auquel se livre la République, par le biais de ses institutions, par exemple pour ne citer qu'elle, l'ADRI (l'Agence de Développement des Relations Interculturelles). Contre le communautarisme dérive négative voire néfaste des communautés- et contre le multiculturalisme, qui traduiraient tous deux l'idée d'une addition des cultures, elle privilégie à l'inverse les relations entre les cultures, l'échange comme outil de l'unification. Elle rend ces forces particularistes centrifuges, et les met au service de l'homogénéisation et de l'égalité du corps, puisque l'échange entre les cultures suppose aussi entre elles le refus de toute hiérarchie. [...]
[...] Ainsi Michael Walzer écrit-il dans son Traité sur la Tolérance, que la France, pays d'immigration, n'a jamais reconnu, et cela, à l'inverse du Québec, l'immigration comme faisant partie de son roman national Peut- être aussi parce que, plus que tout autre, la France a tiré à l'extrême les principes égalitaires de la République, refusant de voir dans le peuple français une ‘collection' de composantes Communautés intermédiaires positives et citoyenneté : comment dépasser l'opposition communautarisme - républicanisme ? Le communautarisme ne se pensant donc pas, finalement, contre le républicanisme, mais oeuvrant au contraire, comme une force souterraine, à une égalité approfondie, peut-être mis au service du républicanisme. Pour Will Kymlicka, philosophe et auteur de La citoyenneté multiculturelle, une réponse qui se ferait du simple point de vue de l'individu ignorerait l'injustice sociale. [...]
[...] Pour la République, la reconnaissance d'interlocuteurs communautaires, et donc du pouvoir que pourraient potentiellement exercer certains groupes sur les individus, reviendrait à étouffer tout l'humanisme et le positivisme de l'idée républicaine. Pour les défenseurs du républicanisme, les contraintes internes des communautés, les limitations imposées par elles aux libertés civiles et politiques relèvent tout bonnement de l'illégal. Et les moyens coercitifs dont dispose la République pour forcer les citoyens à être libres selon la célèbre démonstration de Rousseau, trouvent précisément leur raison d'être dans leur fonction : proscrire les inféodés, sinon de la nation, du moins de l'espace public Les résistances unificatrices de la République : des limites de la tolérance en démocratie La République, parce qu'elle tend à l'unité, parce que tout ses mécanismes visent à l'homogénéité du corps dont elle est issue, ne saurait tolérer en son sein l'expression des différences ou la revendication des particularismes, parce que l'insubordination à l'intérêt général menace son intégrité. [...]
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