Le système administratif français n'est pas avare dans l'emploi de commissaires du gouvernement, ces derniers ayant pour point commun de représenter l'autorité publique. C'est le cas par exemple des fonctionnaires d'administrations centrales chargés de faire valoir les positions de leurs ministères auprès des formations consultatives du Conseil d'État. L'expression est également employée pour désigner les agents publics chargés de surveiller le bon fonctionnement de certains organismes. On trouve ainsi des commissaires du gouvernement, parfois pourvu d'un droit de veto, auprès de groupements d'intérêt public, d'entreprises nationales ou d'autorités administratives indépendantes. L'article 52 du Code de justice militaire désigne aussi sous ce vocable le ministère public auprès des juridictions des forces armées en temps de guerre. Mais que représentent ces personnages dès lors qu'il est question du commissaire du gouvernement ? Qui sont-ils pour ne serait-ce que faire ombre à celui qui provoque chez le juriste « un léger frisson, celui du plaisir de la découverte, au fil [de] démonstrations subtiles et rigoureuses » ? Ce personnage, cette « figure incomparable », c'est le commissaire du gouvernement qui intervient dans le cadre des formations contentieuses du Conseil d'État, des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Historiquement, l'ancêtre du commissaire du gouvernement est à trouver chez les « Sieurs commissaires » désignés au sein des conseils du roi. C'est cependant l'ordonnance du 12 mars 1831 qui consacre l'existence des « commissaires du roi » en instituant dans son article 2 « trois maîtres des requêtes qui exerceront les fonctions de ministères publics ». À l'origine clairement rattaché à l'exécutif, le développement constant du rôle contentieux du Conseil d'État a par la suite permis au commissaire du gouvernement de gagner en indépendance ainsi qu'en influence .
En l'état actuel du droit positif, la fonction de commissaire du gouvernement est notamment définie par l'article 7 du Code de justice administrative (CJA) qui dispose : « Un membre de la juridiction, chargé des fonctions de commissaire du gouvernement, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent. » Le commissaire du gouvernement ne représente donc pas le gouvernement. Il bénéficie, en tant que membre à part entière de la juridiction administrative, de l'ensemble des garanties statutaires offertes soit par le corps du Conseil d'État, soit par celui des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. Sa désignation se fait par décret du Président de la République et la durée maximale de la fonction est fixée à dix ans. L'article 7 CJA ne fait par ailleurs que reprendre les termes mêmes de la jurisprudence du Conseil d'État, pour qui « le commissaire du gouvernement a pour mission d'exposer [à la formation de jugement] les question que présente à juger chaque recours contentieux et de faire connaître, en formulant en toute indépendance ses conclusions, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l'espèce et les règles de droit ainsi que son opinion sur les solutions qu'elle appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction » .
Mais ce magistrat qui appelle des commentaires dithyrambiques ne fait en tout et pour tout qu'émettre un simple avis. En effet, seule son intervention orale est exigée par l'article 731-3 du Code de justice administrative. Il apparaît donc essentiel de s'interroger sur ce paradoxe au fondement de cette fonction – qui constitue probablement l'une des « originalités les plus marquantes de la juridiction administrative française » – et de déterminer ainsi dans quelle mesure le commissaire du gouvernement constitue un personnage à la fois influent et fragile. Le commissaire du gouvernement représente en effet une spécificité juridique française qui le place à la fois au cœur et à la périphérie de la procédure administrative contentieuse (I). Cette spécificité qui fait son charme l'a cependant conduit à se heurter à la portée plus large du droit européen des droits de l'homme (II).
[...] D'une part, de ce que les conclusions ne sont pas détachables de la procédure, il résulte qu'elles ne constituent pas un document administratif au sens loi 18 juillet 1978. Le droit d'accès au document administratif ne trouve donc pas à s'appliquer en l'espèce. D'autre part, non plus qu'il ne soit membre de la formation de jugement, le commissaire du gouvernement n'est partie au litige. Ses conclusions sont sa propriété intellectuelle et matérielle[14], sachant que seule son intervention orale est exigée par le Code de justice administrative (article 731-3 CJA). [...]
[...] Chapus, Droit du contentieux administratif, 9ème édition, p CE avril 1988, Vincent, Rec. CE, p.145 CE juillet 1998, Esclatine, Rec. CE, p CEDH janvier 1970, Delcourt ; CEDH septembre 1991, Bazerque : les conclusions du commissaire du gouvernement présentent seulement le caractère d'un document de travail interne CEDH octobre 1991, Borgers, RTDH note Callewaert. CEDH février 1996, Vermeulen ; CEDH mars 1998, Reinhardt et Slimane Kaïd ; CEDH juin 1981, Le Compte La rédaction des décisions de la cour de justice des communautés européennes n'est pas différente dans son esprit de celles de la CEDH. [...]
[...] Ainsi, l'arrêt Borgers[18] a-t-il condamné dans le domaine pénal le parquet de la Cour de cassation belge du fait qu'aucune note ne soit reçue après les conclusions du ministère public, cumulé avec celui qu'il participait au délibéré. D'autres arrêts sont ensuite venus étendre la portée de cette première jurisprudence dans le domaine civil, qui dans la jurisprudence européenne inclut le contentieux administratif[19]. Inquiet de cette évolution, le Conseil d'État fit œuvre de prévention et de pédagogie avec l'arrêt Esclatine. La cour suprême y rappela ainsi que le commissaire du gouvernement participe à la fonction de juger dévolue à la juridiction dont il est membre. [...]
[...] EDH l'absence de communication avant l'audience des conclusions du commissaire du gouvernement, de même que son incapacité à pouvoir y répondre. La cour européenne conclut que le principe du contradictoire n'est pas atteint. Son raisonnement est cependant différent. Elle estime ainsi que la notion de procès équitable implique [ ] en principe le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation soumise au juge, fût-ce par un magistrat indépendant, en vue d'influencer sa décision ou de la discuter. [...]
[...] 8-10. Concl. Blum sur CE novembre 1912, Boussuge, D 49. [...]
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