La raison d'Etat est un terme qui fait frémir le démocrate qui est en nous. A l'heure où les droits de l'homme sont devenus une norme évidente – bien qu'imparfaitement appliquée – il paraît impensable que l'Etat puisse encore agir « comme un mauvais perdant qui parfois modifie les règles du jeu. » Un jeu dangereux puisqu'il repose sur la discrétion du pouvoir, sur l'abus des pouvoirs, sur l'absence de recours légal pour la protection des citoyens. Il n'y a plus, de nos jours, de théorie de la raison d'Etat. Bien qu'elle serve parfois encore à se protéger d'ingérences toujours plus pressantes, la raison d'Etat est devenu un tabou, on la dénie, on la rejette. Pourtant, son histoire est ancienne ; d'aucuns la disent ancestrale. Sous le terme de pharmakon – qui renvoie au poison autant qu'au remède – Platon déjà accordait aux « gouvernants de l'Etat [le devoir] de tromper les ennemis et les citoyens dans l'intérêt de l'Etat. » Au-delà de l'apparence, c'est faire ressortir le fait que la raison d'Etat n'est pas qu'un simple danger ; elle peut également servir le bien des citoyens, la sauvegarde de l'intérêt général.
Alors pourquoi cette crainte de la part du peuple, de la population, face à ce qui ne doit être qu'un outil de défense ? Peut-être ne devrions nous craindre que les abus de la raison d'Etat, et non pas sa forme pure, qui est notre alliée dans les cas d'exception. La raison d'Etat est-elle véritablement l'ennemi du citoyen ?
Elle a pu l'être ; à ses débuts, lorsque renaissante elle a servi aux caprices des princes, à l'oppression des minorités, à la justification de l'absolutisme. Mais rapidement, la raison d'Etat sert la rationalisation des techniques de gouvernement. Le bien commun devient un moyen, puis une fin, d'un souverain qui abandonne ses caprices en même temps que sa figure humaine.
[...] Et à travers les recherches sur ce sujet, on a pu noter que la condition de ces citoyens n'a qu'une place fort réduite dans la documentation spécialisée. A côté des volumes innombrables sur l'art de l'Etat, peu sont consacrés à ceux qui sont ainsi gouvernés. C'est peut-être que sur la période étudiée, le citoyen n'a pas encore pris toute son importance. On a encore affaire à des sujets muets qui ne prendront la parole que progressivement, et à la fin du XVIII° siècle. Mais on peut penser à une autre raison pour expliquer cette cécité. [...]
[...] C'est donc clairement au détriment du citoyen que renaît la notion de raison d'Etat à partir du XVI° siècle. Associée aux massacres religieux et à l'absolutisme royal, elle est jusqu'alors comprise comme essentiellement négative et dangereuse. Le destin de l'expression machiavélisme en témoigne : la raison d'Etat est associée à la méchanceté. Mais il faut également considérer l'autre face de ce concept qui a progressivement conduit à une rationalisation des pratiques de gouvernement au profit d'un citoyen dont on recherche de plus en plus la félicité. [...]
[...] Mais on ne peut pas pour autant parler de rupture fondamentale dans la notion de raison d'Etat. En dernière instance, le but est le même chez Naudé que chez Turquet de Mayerne qui théorise cette mission de félicité publique à savoir le renforcement de l'Etat. Dans un cas, cela passe par un massacre perçu comme nécessaire, deux siècles plus tard, on s'oriente vers une organisation détaillée de la vie sociale et des moyens d'atteindre au bien commun. Mais au-delà des divergences radicales de moyens, la finalité demeure identique : le salut d'un Etat qui développe progressivement sa raison propre à l'écart des influences de l'Eglise. [...]
[...] C'est pourquoi on voit se former une administration spécialement dédiée à la récolte d'informations statistiques dans le domaine social. Autre nouveauté, les résultats de ces enquêtes sont publiés et conservés. Ils doivent servir aux monarques à venir comme un patrimoine dont on assure méticuleusement la transmission. Peu à peu se séparent donc la personne privée du roi et celle, publique, de l'Etat. Le savoir appartient à la seconde, même s'il ne lui sert qu'à travers la première. Un personnage comme Necker illustre bien cette séparation. [...]
[...] On trouve dans son Testament politique les traces de ce projet. Il convient, selon Richelieu, de considérer tout renforcement de l'Etat comme une action positive et louable, quelle que soit sa cause. La raison d'Etat dicte la puissance de l'Etat, et le roi, qui se confond avec cette dernière, ne doit souffrir aucune opposition. C'est la justification claire et avouée de l'absolutisme royal, fut-ce au détriment des citoyens. Et malgré les contestations et les révoltes, la journée des Dupes marque, en 1630, l'avènement d'une autorité renouvelée. [...]
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