Pourquoi la solidarité ? Au nom de quoi devons-nous être solidaires les uns des autres ? Une telle interrogation peut a priori étonner. La solidarité nécessite-t-elle des justifications ? Non, sans doute, puisque dans la manichéenne hiérarchie des bonnes et des mauvaises valeurs, cette dernière est largement considérée comme l'une des meilleures, et à ce titre il peut paraître inutile, voire déplacé d'interroger la solidarité, d'en chercher le pourquoi.
La question de départ de cette étude est la suivante : « Est-il naturel pour les hommes de s'entraider ? », et l'« étonnement sociologique » (pour reprendre les termes de Jeanne Hersch, « l'étonnement philosophique ») sur lequel elle cherche à faire lumière, réside tant dans l'ampleur de la mise en œuvre de la solidarité aujourd'hui, notamment dans son institutionnalisation à l'échelle nationale, que bien souvent dans ses incohérences. Au demeurant, il semble étonnant que la très grande majorité de la population accepte cette solidarité imposée.
Redistribution, partage, solidarité en particulier via l'impôt sont des valeurs que l'on a tendance à croire naturelles aujourd'hui. Jean-Michel Belorgey écrit dans un recueil sur le thème « Solidarité d'aujourd'hui, Fraternité de demain » : « C'est le sentiment de la commune destinée humaine, de sa fragilité, de la faculté de son ébranlement ». En effet, « au nom de la solidarité » semble être une expression qui se passe de toute autre justification. « Ce type d'impôt, dont le principe est aujourd'hui accepté par tout le monde » peut-on lire dans l'Encyclopédie Larousse à l'article « impôt progressif ».
Et, plus encore que solidaires, notre devise nationale nous exhorte à être fraternels. La fraternité est en effet un mot d'ordre national pour notre société française. Bien qu'issu du vocable a priori chrétien, ce terme est désormais inscrit dans la tradition républicaine et pourtant laïque, gravé aux frontons de nos mairies comme sur nos pièces de monnaies, il est devenu pour le moins commun, et est désormais admis de tous.
Pourtant, force est de constater dès lors que l'on prête attention à l'Histoire, qu'il n'en a pas toujours été ainsi. La solidarité telle qu'elle est organisée aujourd'hui n'a pas toujours été de vigueur, l'institutionnalisation de l'Etat Providence est récente. De même, la portée géographique de la solidarité connaît d'étonnantes limites. Il est en effet surprenant de voir qu'elle se borne principalement à des frontières nationales alors qu'elle est prônée de manière universelle. C'est en ceci que la solidarité en tant que valeur justifiant partage et redistribution, semble se buter à certaines incohérences. Pourquoi la solidarité ne s'exerce-t-elle qu'à l'échelle nationale ?
La solidarité apparaît donc dans cette perspective comme une construction sociale, ayant sans doute fait sa place dans l'inconscient collectif ; cependant elle ne peut en aucun cas être considérée comme une valeur naturelle. C'est ce que s'attachera à démontrer cette étude, et pour ce faire, il est nécessaire de remonter aux origines de la solidarité, avant même son institutionnalisation par le biais d'organes tels que la Sécurité Sociale ou par des mécanismes législatifs. Qu'en était-il avant la mise en place de l'Etat Providence ? Que reste-t-il du système d'entraide fondé sur la charité chrétienne ?
S'il semble « normal » à la plupart des Français aujourd'hui que s'exerce une certaine solidarité, même obligatoire, il demeure néanmoins difficile d'en expliquer la véritable cause. En revanche, l'ancien système de solidarité, c'est-à-dire celui de la charité connaît une cohérence, il se suffit à lui-même. En effet, la charité trouve ses fondements dans la religion, dans la Bible notamment ainsi que dans les dogmes de l'Eglise. Si l'on est chrétien, on doit aimer son prochain, être charitable avec lui. La charité chrétienne s'inscrit dans un tout très cohérent, alors que la solidarité républicaine souffre sans doute d'une profonde incohérence. Pourquoi dois-je partager mon salaire avec une personne que je ne connais pas ? Au nom de quoi ? Les justifications de la solidarité sont sans doute économiques et politiques, avant d'être philosophiques ou morales. L'abolition de la morale chrétienne a finalement laissé place à une morale laïque qui a alors exigé la justification du partage, valeur pourtant chrétienne.
[...] Elles disparaîtront. Les langues? Elles cesseront. La science? Elle disparaîtra. Car imparfaite est notre science, imparfaites sont nos prophéties; mais quand viendra ce qui est parfait, ce qui est imparfait disparaîtra. Quand j'étais enfant, je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant; quand je devins un homme, je fis disparaître ce qui tenait de l'enfant. Nous voyons à présent au moyen d'un miroir, confusément; mais alors, ce sera face à face. [...]
[...] Ils ont des obligations les uns vis-à-vis des autres, qui semblent être de plus en plus volontaires et de moins en moins contraignantes, grâce à l'Etat et le marché qui tentent de prendre en charge et donc ainsi de libérer les individus de leurs obligations contraignantes. En revanche, dans la sphère étatique, l'Etat providence va rendre des services qui empruntaient auparavant les réseaux de charité ou des liens personnels entre proches diminuant ainsi les injustices. Cependant, l'Etat n'appartient pas pour autant à l'univers du don mais à une sphère qui repose sur des principes différents et qui, de plus, peut avoir des effets négatifs sur le don. C'est ce que montrent J.T. Godbout et A. Caillé. [...]
[...] Durkheim écrit dans son étude sur Le Socialisme : La charité n'organise rien. Elle laisse les choses en l'état, elle ne peut qu'atténuer les douleurs privées qu'engendre cette inorganisation. Dans son Essai d'une philosophie de la solidarité, Léon Bourgeois, en réponse à une objection du théologien protestant A. Sabatier qui défendait l'existence d'un domaine supérieur à toute convention, celui de l'amour, affirme : Je dis à ceux qui font le bien : vous croyez faire la charité ; détrompez-vous, vous payez seulement votre dette ; n'en ayez pas tant d'orgueil. [...]
[...] Le cadre d'action n'est plus le territoire mais le secteur professionnel. Aucune condition d'appartenance territoriale n'est requise autre que la résidence sur le territoire national. Il faut cotiser pour bénéficier de la Sécurité sociale, que l'on soit français ou étranger. L'assistance sociale, héritière de la charité chrétienne et de la Révolution française de 1789, à travers ses principes d'égalité et de solidarité nationale, passe par l'octroi d'une aide aux personnes dont les ressources sont insuffisantes, financée par les impôts et versée par les collectivités publiques sans contrepartie de cotisation. [...]
[...] On retrouve ce comportement chez ceux qui en supportent les coûts. La déresponsabilisation des premiers limite le sentiment de devoir d'assistance chez les seconds et dénature le principe de redistribution. La redistribution s'accompagne en effet de facto d'un regard critique porté par ceux qui la financent sur la nature des biens consommés par ceux qui en bénéficient. Il semblerait que les dépenses en consultation de guérisseurs et autres charlatans dépassent celles qui sont consacrées à la médecine officielle, et chacun trouve normal de rémunérer un vétérinaire pour soigner un animal de compagnie. [...]
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