On ne peut aujourd'hui que constater l'omniprésence du terme d'opinion publique, aussi bien dans les médias que dans les discours de nos dirigeants politiques. En effet, on semble être inondé de chiffres et de commentaires à propos de ce « que pense les Français » sur tel ou tel sujet public ; de l'éternelle côte de popularité de nos représentants au bien fondé de la guerre en Irak, « les Français » sont sans cesse questionnés. Or, on se rend compte qu'aucun effort de définition n'est fait sur cette notion d'opinion publique, pour le moins assez flou.
A priori, l'opinion publique ne serait rien d'autre que le constat de ce pense une population à un moment donné, sur un sujet particulier. Une opinion est un avis, un jugement, un point de vue d'un individu à propos d'un fait ou d'une personne. L'ambiguïté de terme vient en fait de l'apposition de l'adjectif « publique ». L'opinion publique serait-elle, alors, l'avis d'individus donné publiquement ? Ou leurs avis sur des thèmes d'ordre public ? Un premier problème apparaît, celui de la définition délicate de l'expression. Si elle semble en permanence employée, elle ne représente pourtant pas quelque chose de précis. Pour comprendre ce qui se cache derrière cette notion abstraite, il faut nécessairement connaître les sens qu'elle a pu revêtir au cours de l'histoire. Au XVIII ème siècle, la notion existait déjà et désignait l'ensemble des idées partagées par un groupe social, une appréciation raisonnable sur les actions du gouvernement. Il s'agissait en somme d'un « tribunal critique » des rois et des législateurs, un contrepoids à l'absolutisme royal. Mais l'opinion publique se distinguait de l'opinion commune, c'est-à-dire qu'elle émanait d'individus éclairés, informés, et cultivés. Comme le soulignait Condorcet, l'opinion publique n'englobait pas le peuple, « cette multitude aveugle et bruyante ». Il ne reste aujourd'hui de cette définition, selon Jacques Lagroye, que « la croyance en un corps de croyances, d'aspirations et d'appréciation sur la politique appartenant à la population qui peut exprimer ses attentes communes sur le gouvernement ». Il est intéressant de constater le changement sémantique. Au XVIII ème siècle, l'opinion publique ne pouvait être formulée que par une élite savante, alors qu'aujourd'hui elle est émise par le peuple. Néanmoins, l'opinion n'en apparaît pas pour autant comme réelle, et reste abstraite, impalpable. Dire qu'il existe une opinion publique représentant fidèlement l'avis d'une population, c'est présumer qu'il y aurait eu un consensus entre les individus ; or ces derniers ne se sont pas concertés et élever l'opinion d'une majorité (et non pas de tous) au rand de volonté générale semble dangereux. On s'étonne alors de voir la place grandissante qu'elle prend dans le discours politique ou journalistique à partir des années soixante en France, avec le succès des sondages et enquêtes d'opinion. Elle est à la fois revendiquée par les hommes politiques, identifiée comme vérité absolue par les médias et ne cesse d'être mesuré par les instituts de sondages.
Comment, d'une abstraction, l'opinion publique a t elle pu accéder au statut de réalité servant de base au discours politique et médiatique ?
Si l'opinion publique prend une consistance grâce aux sondages qui la font exister à titre de réalité concrète, il semble préjudiciable de s'en prévaloir car cette « réalité » demeure mouvante, voire déformée car le concept n'a pas le même sens selon qui l'utilise.
Nous verrons d'une part comment les sondages ont permis à l'opinion publique d'exister en tant que réalité, et d'autre part, que son utilisation dans le discours public modifie en permanence sa définition.
[...] On regrette donc l'utilisation outrancière de cette notion dans le discours politique car on peut craindre une remise en cause de la démocratie et du fonctionnement du jeu politique. Bibliographie Loïc Blondiaux, La fabrique de l'opinion, coll. Science politique, SEUIL 1998 Patrick Champagne, Faire l'opinion. [...]
[...] Depuis, les journaux comme les organisations politiques commandent des sondages afin de prendre connaissance de l'opinion Au vue de la définition de l'opinion par les sondages (fondée sur la science et sur le nombre), ces derniers peuvent s'analyser comme un dispositif d'objectivation réussi de l'opinion et leurs résultats comme la nouvelle réalité de l'opinion publique. Ils ont aussi transformé la manière de concevoir l'opinion publique. La transformation dans la manière de concevoir l'opinion publique Les sondages d'opinion imposent une nouvelle logique, celle du nombre et de la représentation proportionnelle, ils proposent une image ressemblante du peuple. [...]
[...] Ainsi, l'opinion publique reste un concept relatif, difficile à définir. Les sondages d'opinions lui ont donné sa forme moderne, lui permettent d'exister, d'être matérialisée et le jeu politique a très vite intégré cette nouvelle personne servant désormais de base aux discours des représentants. Néanmoins, l'opinion publique demeure en dernier ressort, un artefact, perpétuellement réinterprété et redéfini selon qui l'utilise et en quelle circonstance. C'est une illusion de représentativité de l'état de pensée d'une population, que les acteurs politiques (dirigeants, élus, commentateurs politiques, spécialistes du marketing politique ) continuent à utiliser, voire à instrumentaliser pour asseoir et légitimer leurs discours et leurs actions. [...]
[...] Ils contribuent également à faire croire à cette opinion publique. Mais, cette base est en réalité fondée sur une réalité erronée, déformée, car nous l'avons vu, les réponses à un sondage ne permettent pas réellement d'appréhender les avis des individus sur des questions qui n'intéressent que les hommes politiques. L'opinion publique est alors encore réinventée par la voie de ceux qui se doivent de la faire exister. Le résultat d'un sondage n'a pas le même sens lorsqu'il est réincorporé dans un discours de légitimation politique. [...]
[...] Qu'est ce que l'opinion publique ? On ne peut aujourd'hui que constater l'omniprésence du terme d'opinion publique, aussi bien dans les médias que dans les discours de nos dirigeants politiques. En effet, on semble être inondé de chiffres et de commentaires à propos de ce que pense les Français sur tel ou tel sujet public ; de l'éternelle côte de popularité de nos représentants au bien fondé de la guerre en Irak, les Français sont sans cesse questionnés. Or, on se rend compte qu'aucun effort de définition n'est fait sur cette notion d'opinion publique, pour le moins assez flou. [...]
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