Il semble aujourd'hui établi que la Russie n'est pas une démocratie au sens occidental du terme. Les récentes données issues de Nations In Transit de 2007 abondent dans ce sens, et donnent un assez bon aperçu de l'évolution de la démocratie en Russie. Même s'il semble délicat de chiffrer la démocratie, cette étude souligne la baisse depuis 2004, date de la réélection de Vladimir Poutine, du score démocratique de ce pays. L'état général de la démocratie aurait donc empiré au fil des années, reléguant la Russie au niveau des régimes semi-autoritaires. Notons que c'est en 2004 que l'Union Européenne s'est élargie aux pays d'Europe centrale et orientale, pour la plupart anciens pays satellites de Moscou ce qui, sans réelle relation de cause à effet, va dans le sens de la théorie de Leroy Beaulieu concernant la Russie du 19e siècle : le centre se replie sur lui même lorsque la périphérie évolue plus rapidement. La stigmatisation d'un ennemi extérieur à la Russie ( l'Occident) ainsi que le retour à un nationalisme exacerbé doublé d'une certaine forme d'isolationnisme, sont les symptômes de ce malaise. Le constat d'un affaissement démocratique n'est pas partagé par le Kremlin, qui avance en retour la particularité de la conception russe de la démocratie incarnée par le concept de « démocratie souveraine ». Cette vision spécifique de la démocratie, implique que la Russie ne pourrait se voir imposer un modèle démocratique de l'extérieur. Comme nous le verrons, il s'agit là d'un moyen pour le pouvoir en place de légitimer une pratique autoritaire du pouvoir que les Russes plébiscitent (Pipes, 2004), tout en maintenant en place une façade démocratique.
Quelles sont donc les perspectives d'évolution pour la démocratie en Russie ? Doit-on croire en une vision optimiste qui considère que les transformations démographiques, économiques et sociétales auxquelles les Russes font face depuis la reprise en main du pays par Poutine, conduiront de facto à l'établissement d'une classe intermédiaire, condition du développement d'une démocratie stable en Russie ? Au contraire, faut-il craindre que le sentier de dépendance sur lequel la Russie est engagée depuis son origine cumulé à la stratégie mise en place par Poutine et son clan, obstruent toute perspective de développement de la démocratie dans ce pays ?
[...] Il en est de même pour les élections multipartites, pourtant à la base de tout système démocratique. Quatre-vingt-deux pour cent des sondés pensent que, de toute façon, ils n'ont pas d'impact sur leur gouvernement national, ce qui aurait tendance à corroborer l'hypothèse précédemment développée soulignant le rejet par le pouvoir de toute notion de souveraineté populaire. Il semblerait en effet que les Russes se rendent très bien compte de l'accaparement du pouvoir par le Kremlin et de la volonté de ce dernier d'exclure le peuple de tout processus décisionnel. [...]
[...] Il n'implique donc pas nécessairement la démocratisation, ce qui dans le cas Russe saute aux yeux. La Constitution a mis en place les bases matérielles et symboliques du fonctionnement d'une démocratie stable et efficace, mais la pratique montre bien que sans expérience et réelle volonté de mettre en application les principes démocratiques, un régime politique peut se targuer d'être une démocratie tout en malmenant les fondements de cette dernière. Il semble aujourd'hui établi que la Russie n'est pas une démocratie, au sens occidental du terme. [...]
[...] Le désaccord sur l'identité russe mêlée à l'attitude ambiguë des dirigeants du Kremlin présente un obstacle de taille à la réalisation d'une nation civique en Russie. Le passage à la troisième étape de Dahrendorf est de fait rendu caduque par le flou identitaire et géographique qui caractérise la Russie. A côté de cette explication soulignant l'impossibilité pour la Russie dans l'état actuel des choses de devenir une démocratie libérale au sens philosophique du terme en raison du désaccord identitaire et de l'absence de société civile influente, les théories de la violence politique peuvent être utiles pour saisir l'originalité de l'exemple russe. [...]
[...] Malgré tout, ce ne sont pas les textes qui font la démocratie. La Constitution soviétique de 1936 en est un bon exemple : celle-ci fut présentée comme la plus démocratique jamais rédigée alors que le contexte des purges et des grands procès était une preuve flagrante du caractère totalitaire du régime soviétique. De plus, comment ne pas citer l'exemple du président du Conseil Constitutionnel russe nouvellement créé demandant à Robert Badinter, membre de la délégation française venue à Moscou pour aider à la rédaction de la Constitution russe, quelle initiative prendre en cas de non-respect de la Constitution par l'exécutif. [...]
[...] Cette thèse qui semble aller dans le sens d'une universalité du principe démocratique occidental va de pair avec la notion d'apprentissage de la démocratie. En effet, le principe de souveraineté populaire est particulièrement délicat à appréhender dans le cas russe dans la mesure ou l'histoire de la Russie a été volontairement fondue dans l'époque soviétique. Les observateurs optimistes de la Russie considèrent que c'est sur ce point que ce pays diffère de son voisin ukrainien dont la transition démocratique semble, du moins pour l'ouest du pays, sur de bons rails. [...]
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