L'analyse empirique des représentations collectives sur l'Etat-providence conduit à consta-ter qu'on oppose, traditionnellement en France, deux modèles. D'un côté, on considère le modèle français comme fondé sur une protection sociale généreuse et comme le « meilleur du monde ». De l'autre, on évoque l'idée d'un modèle anglo-saxon – expression qui est une spécificité fran-çaise – qui amalgame les systèmes américain et britannique, et qui est défini comme très libéral, fondé une couverture minimale et un contrôle étroit des bénéficiaires. Les autres systèmes sociaux – suédois et allemand en particulier – sont beaucoup moins l'objet de représentations.
Au-delà de ces éléments très répandus de perception de l'Etat social, il est particulièrement intéressant de confronter ces représentations à la réalité de l'Etat-providence en France et dans le système britannique, composante européenne de ce modèle libéral anglo-saxon très présent dans les discours en France. Le choix de la France et de la Grande-Bretagne tient donc à la place cen-trale que leur opposition joue dans les modes de perception de l'Etat-providence, élément majeur du paysage économique et social européen.
Notre réflexion débute dès l'après-guerre, car si les bases de l'Etat-providence sont appa-rues plus tôt, celui-ci ne s'est vraiment structuré et développé qu'après la Seconde guerre mon-diale. Ainsi, à partir de cette réflexion d'ensemble, il convient de mesurer la plus ou moins grande distance qui sépare les deux systèmes à l'origine, dans le cadre de leur développement respectif, puis des interrogations contemporaines auxquelles ils sont confrontés.
Les discours les plus répandus méritent ainsi d'être nuancés. En effet, dès ses origines, le système de Sécurité sociale français se caractérise par une ambiguïté profonde quant à son rapport à l'universalisme britannique. Universel dans les intentions de ses fondateurs qui ont été influen-cés par le rapport Beveridge, les évolutions vont décider autrement du sort du système français si bien que deux modèles très différents vont finir par se développer. Cependant, les mutations ac-tuelles liées à la « crise de l'Etat-providence », notion présente dans les deux pays, tendent à abou-tir à l'adoption de solutions convergentes dans les systèmes français et britannique. Plus fonda-mentalement, la relativisation de la proximité du système américain et d'un système anglais, dont l'ancrage est plus européen que beaucoup le pensent, appelle à une réflexion d'ensemble sur la relation singulière qui caractérise l'identité européenne et l'Etat-providence.
[...] Au principe assuranciel se substitue progressivement un système dual qui rentre en contradiction avec une philosophie d'origine fondée sur l'assurance. Il ne s'agit pas ici de revenir sur le déclin de la technique assurancielle qui a fait l'objet d'intéressants commentaires de la part de Pierre Rosanvallon mais de revenir sur un élément fondamental déjà évoqué : le caractère universel de fait du système français. En effet si le système britannique est universel dans ses principes et sa philosophie, le système français l'est également à partir du moment où ce sur quoi il est fondé le travail est accessible à tous les individus. [...]
[...] Avec ce retour au pouvoir, un autre moteur prend alors le relais du précédent : la stratégie de modernisation du Labour sous la houlette de Tony Blair. Adoptant, dans le cadre de la troisième voie et du New contract for welfare (1998), des thématiques chères aux classes moyennes, il entend de cette façon priver les conservateurs de majorité. Cette nouvelle dynamique de rénovation de la social-démocratie et de réflexion sur les fondements de l'Etat-providence constitue donc une nouvelle impulsion dans le sens de réformes d' activation des dépenses sociales. [...]
[...] La loi du 22 mai 1946 prévoit notamment la généralisation de la Sécurité Sociale sur l'ensemble du territoire et l'assujettissement obligatoire aux assurances sociales de tous les Français. Dans l'esprit du législateur, il s'agit d'imposer un principe d'universalité. L'aboutissement logique de ce raisonnement était donc de constituer un Régime Général de Sécurité Sociale commun à tous. Or, comme nous l'avons vu précédemment, des réticences corporatistes se font rapidement sentir et mèneront par la suite à la mise à mal de ce principe : en effet, les fonctionnaires et les agents des services publics de l'époque (gaziers, électriciens ) exigent de conserver leurs régimes spéciaux d'assurance sociale, nettement plus avantageux, acquis dans les années trente voire antérieurement. [...]
[...] Cette loi prévoyait un service complet, disponible à tous, qui fonctionnerait à travers un réseau d'hôpitaux et de services médicaux. Il a fallu deux ans de négociations avec les représentants du secteur médical pour aboutir à un accord en vue de la mise en place du système. Mais le National Health Service est surtout fondé sur trois caractéristiques majeures : c'est un système complet, gratuit, et surtout universel. Ainsi, le 5 juillet 1948, l'ensemble du Welfare State britannique devient une réalité. [...]
[...] Cependant la convergence entre la France et la Grande-Bretagne ne se limite pas à la philosophie globale des différents dispositifs mais concerne aussi le degré de contrainte assorti à chacun des dispositifs évoqués. En effet, si le workfare paraît plus sévère, on note en France, du RMI au RMA en passant par le PARE une tendance progressive au renforcement des contraintes qui pèsent sur les bénéficiaires. La convergence est donc double. Mais plusieurs évolutions liées aux changements économiques tendent également à écarter le système français de ses logiques originelles pour le rapprocher du système britannique. [...]
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