Ernest Renan définissait lors de sa conférence de 1882 la nation comme « une âme, un principe spirituel », qui ne se définissait pas par des éléments tangibles comme la langue, la race ou la religion, mais reposait sur la volonté commune des membres de cette nation d'appartenir à celle-ci. Cette conception « française » de la nation, en concurrence avec celle «allemande » notamment définie par Fichte comme une unité faite autour de la langue qui seule forme le peuple, a contribué à la création d'Etats-Nations et est aujourd'hui, à l'ère de l'ONU et du triomphe du libéralisme, la conception de la nation la plus communément adoptée par les Etats à travers le monde.
L'Afrique du Sud d'après l'apartheid, nation surnommée « arc-en-ciel » du fait de son extrême diversité ethnique, linguistique et religieuse, est un exemple pertinent d'Etat-nation fondant son unité sur les principes décrits par Ernest Renan. Après la libération de Nelson Mandela et l'instauration d'un régime démocratique non-raciste, l'Afrique du Sud a cherché a reconstruire une nation sur des principes neufs, et a adopté une conception de la nation artificialiste telle qu'elle est adoptée dans les démocraties occidentales contemporaines : la nation sud-africaine est un «plébiscite de tous les jours », une entité qui se fonde sur des réalisations passées et des ambitions futures partagées par tous – c'est-à-dire une nation telle que la définit Renan.
L'Afrique du Sud aujourd'hui présente-elle une cohésion nationale fondée sur une volonté commune dépassant les clivages ethniques, linguistiques et religieux ? Le gouvernement sud-africain postapartheid cherche-t-il a faire de l'Afrique du Sud une nation fondamentalement renanienne ?
[...] Lorsque l'Afrique du Su adopte après la chute du régime d'apartheid une nouvelle Constitution, celle-ci répond à la volonté de Mandela de former une nation arc-en-ciel en paix avec elle-même et avec le monde qui se concrétisera par l'adoption d'une nouvelle Constitution, toujours en vigueur aujourd'hui, que l'on peut assimiler à la définition renanienne de la nation. La nation sud-africaine selon sa Constitution a pour citoyens ceux qui vivent sur le sol sud-africain et souhaitent participer à la vie de cette nation indépendamment des ethnies et langues We, the people of South Africa ( ) Believe that South Africa belongs to all who live in it, united in our diversity”) don't l'unité est opérée par l'adhésion consensuelle à des principles abstraitset universalistes(“establish a society based on democratic values, social justice and fundamental human rights” Cette nouvelle nation reconnait un “mythe fondateur”, la libération de Mandela et la nouvelle unité, plus ou moins fantasmée, née de la chute du régime d'apartheid, et se fixe à l'avenir la mission nationale d'être le flambeau du pacifisme et de l'humanisme dans le monde et particulièrement en Afrique (les prises de position des gouvernements depuis 1994 dans les relations internationales ont toujours manifesté une forte affinité pour les problématiques humanitaires et pacifiques, la nation sud-africaine ayant l'impression d'avoir été formé par et pour ses principes). [...]
[...] Or, l'Afrique du Sud aujourd'hui, dirigée par l'ANC vainqueur du régime d'apartheid, est réticente à oublier les injustices et horreurs commises par les anciens dirigeants afrikaners, malgré les vœux de Nelson Mandela de recréer une nation excluant tout logique de vengeance. En effet, André Brink, écrivain blanc s'étant particulièrement engagé dans la lutte anti-apartheid, dénonce (entretien avec le magazine Ulysse) la prise pour cible de la langue afrikaans par l'ANC pour se venger de l'oppression des Afrikaners Par ailleurs, l'ANC au pouvoir très majoritairement noir résiste mal à l'envie de répondre aux inégalités passées par des nouvelles dans l'autre sens : outre la discrimination positive instituée pour rééquilibrer les inégalités issues de l'apartheid (bien que selon le Programme de Développement des Nations Unies, près de de la population blanche sud-africaine vivrait au- dessous du seuil de pauvreté)le gouvernement en 2008 a imposé à tous les écoliers sud-africains de faire serment officiellement de de ne plus répéter les erreurs du passé au risque de remplir de force les esprits des jeunes blancs d'un sentiment de culpabilité pour les fautes de leurs parents dont ils ne sont pas responsables et au risque donc de dissoudre la cohésion nationale. [...]
[...] L'Afrique du Sud est sans doute au monde un des pays le plus hétérogène en termes d'ethnicité. Aux nombreuses ethnies autochtones (Zoulou, Tsonga, Sotho ) présentes sur l'immense territoire sud- africain se sont ajoutés au cours de l'histoire les Afrikaners (installé à partir du XVIIe siècle) et au XXe siècle de nombreuses communautés venues d'Inde ou d'Asie (représentant ensemble de la population actuelle). Non seulement il serait injuste et dangereux pour l'Afrique du Sud d'associer son identité nationale à une ethnie particulière du fait de la trop grande diversité de ses populations et de l'absence d'une ethnie particulièrement majoritaire, mais cela serait de plus impossible si l'on suit l'idée de Renan, car l'ethnie ne peut se définir de manière définitive, elle n'est qu'un objet d'étude scientifique appelé à être redéfini régulièrement et ce particulièrement dans un pays comme l'Afrique du Sud où les métissages ont pu conduire à des brassages profonds des différentes communautés d'origine. [...]
[...] Une nation définie selon une conception française de la nation L'Afrique du Sud par son hétérogénéité présentait le meilleur terreau de création d'un Etat-nation selon la vision de Renan. Aujourd'hui toujours, l'Afrique du Sud se considère comme une nation basée sur la volonté de participer à un projet national commun au-delà de leur différence. Une nation extrêmement hétérogène Renan réfutait les éléments tangibles comme capables de définir la nation. La nation sud-Afrique du Sud, extrêmement diverse, confirme la pensée renanienne selon laquelle une nation ne dépend aucunement de l'homogénéité de sa population. [...]
[...] On peut douter du sentiment qu'ont ces exemples de sous- nations d'appartenir à une même nation arc-en-ciel abstraite et cosmopolite d'autant que des mouvements comme l'Alliance démocratique, qui aux élections législatives d'avril 2009 ont recueilli 20% des suffrages , ont pu défendre des positions sécessionnistes. L'unité de la nation arc-en-ciel semble plutôt artificielle au regard des sentiments communautaires extrêmement forts dans l'Afrique du Sud d'aujourd'hui, et l'échec d'un pays aussi divers de donner à ses citoyens l'esprit d'appartenir à une même nation relativise la vision de la nation conçue par Renan comme un plébiscite de tous les jours de ses membres indépendamment de tout élément tangible tel la langue ou l'ethnie. [...]
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