Affaire Papon, procès d'un homme, procès d'un État, régime de Vichy, crime contre l'humanité, Conseil d'État, responsabilités de l'État
« Je me pose une question. Pourquoi moi? À l'instar de Josef K, le héros de Kafka, je m'interroge. D'un coupable désigné deviendrai-je un symbole nécessaire? », tels sont les mots par lesquels Maurice Papon intervient au terme de 16 ans de procédure depuis les révélations du canard enchaîné le 6 mai 1981 et de 6 mois d'un procès qui n'en finissait plus. Par ces interrogations, Maurice Papon se demande si son procès ne participe pas à la « seconde épuration », celle advenu à la fin du 20ème siècle, celle que l'on peut rattacher au cycle de la mémoire d'Henry Rousso, celle où ce ne sont pas seulement les victimes ou leurs descendants qui réclament justice, mais l'ensemble du corps social pour prendre en charge le règlement symbolique de l'histoire. Par ces mots, Maurice Papon exprime la crainte que ce resurgissement de la mémoire collective qui passe par son procès influe ses juges pour subir une sorte de procès exemplaire ou de procès par lequel se sera fait le procès de Vichy. Dans ce cas-là, l'issue du procès Papon serait d'abord le symbole de l'absence de procès tenu dépassant le cadre de la responsabilité individuelle pour condamner le régime de Vichy.
[...] Cependant la reconnaissance par le Conseil d'État d'une faute personnelle de Maurice Papon ne vaut pas du fait de son absence de désobéissance mais car celui-ci juge que Papon s'est rendu coupable de fautes qui ont entraîné des conséquences d'une extrême gravité et qui révèlent un comportement inexcusable de surcroit non dicté par des ordres venus d'autorités supérieures. Le Conseil d'État montre que Papon a apporté son concours actif à la politique de déportation bien au delà de ce qui lui était demandé. [...]
[...] Ainsi lors de sa déclaration du 16 juillet 1995 en admettant l'implication des autorités françaises dans la rafle du Vel d'Hiv Jacques Chirac ouvre la porte à la reconnaissance d'une responsabilité politique et juridique de l'Etat français. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été, chacun le sait, secondée par les français, secondée par l'Etat français. La France, patrie des Lumières patrie des droits de l'homme, terre d'accueil, terre d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable Il fait la distinction entre la République et l'Etat : si Vichy n'est pas la France il n'en reste pas moins que l'Etat a commis une faute de responsabilité. [...]
[...] Dans La mémoire, l'histoire et l'oubli Paul Ricoeur montre que l'expertise historique a valeur de digue quand les dérives de la mémoire veulent tout envahir. Il y aurait une contradiction irrémédiable entre l'histoire résultant de la connaissance des archives et la mémoire qui repose sur le témoignage, le vécu commun, le sentiment de fidélité aux morts. En outre, Jean-Noël Jeanneney fait remarquer que la démarche de l'historien qui repose sur une réflexion dialectique complexe du particulier et du général, autrement dit fait le détour de l'homme singulier puis arrive à la globalité interdit d'opérer la lecture de l'histoire que certains ont voulu imposer pendant ce procès, celle de l'égale responsabilité entre les agents de Vichy dans un prétendu rôle de co-auteur du génocide. [...]
[...] Il y aurait une grande difficulté pour les chercheurs d'établir une distance avec l'objet d'étude et de fait l'historien ne s'éloignera que très peu de la posture du journaliste et de la vision selon laquelle le régime de Vichy est identifiable à celui nazi. De même selon Rousso l'historien qui vient au procès est l'objet d'une instrumentalisation car on attend de lui non pas qu'il soit au service de la vérité de la bonne cause, en l'occurrence on cherche à ce que sa parole vienne légitimer l'idée selon laquelle il n'y a pas de différence entre la logique d'extermination nazie et celle d'exclusion du régime de Pétain. [...]
[...] Le droit aurait donc un rôle transitionnel. Ainsi lors du procès nombreuses furent les manifestations et les revendications dans les médias exigeant une condamnation de Papon au nom de cette lecture de l'histoire et au mépris de la complexité de celle-ci et des principes du droit pénal. Par conséquent Me Varault lors de sa plaidoirie déclara le devoir de mémoire devient le référent des nouveaux réquisitoires occultant totalement le droit à l'oubli et parfois le devoir de vérité, et c'est ainsi qu'on passe d'un refoulement massif à une culpabilisation massive, culpabilité qui cherche des boucs émissaires D'une certaine façon le procès de Papon est aussi le moyen de servir la mémoire, de donner une leçon aux générations qui n'ont pas vécu la guerre. [...]
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