« Le rassemblement des citoyens dans des organisations, mouvements, associations, syndicats est une condition nécessaire au fonctionnement de toute société civilisée bien structurée ». Cette considération de Vaclav Havel (Méditations d'été) rejoint celle formulée deux siècles plus tôt par Alexis de Tocqueville, selon laquelle « Il y a plus de lumière et de sagesse dans beaucoup d'hommes réunis que dans un seul ». La question de l'action collective et de ses ressorts, centrale dans l'actualité sociale contemporaine, est donc une problématique partagée par l'ensemble des « Modernes ». Sa première théorisation idéologique est liée à la théorie marxiste. Celle-ci conditionne les relations entre acteurs sociaux à la nature de la superstructure sociale (ensemble des normes et institutions déterminées par l'opposition structurelle des classes sociales « dominantes » et « dominées »). Cette conception trouve des aboutissements variés au cours du vingtième siècle avec la définition, puis l'institutionnalisation, des formes « traditionnelles » d'action collective : la montée en puissance des syndicats et l'achèvement démocratique des sociétés occidentales contribuent à codifier de façon précise et admise les ressorts de l'action collective. Le « rapport de force » théorisé par les penseurs marxistes se trouve progressivement intégré dans les interactions entre partenaires sociaux (Etat, syndicats, organisations patronales). Le rôle « traditionnel » des syndicats est alors constitué de deux fonctions distinctes : la défense des salariés vis-à-vis du patronat (au moyen d'instruments progressivement formalisés : la grève et les négociations bi – ou tripartites) ; et les délibérations concernant les « conventions collectives » (accords – par secteur ou au niveau national – concernant les conditions générales de travail). La puissante entremise syndicale instituée par ces évolutions donne une légitimité aux mouvements ainsi engagés (notamment à la suite de la Seconde Guerre mondiale), et leur permet de se structurer autour de pôles reconnus, représentatifs et publiquement subventionnés ; mais introduit aussi un certain immobilisme, par l'implicite professionnalisation des acteurs syndicaux et l'inefficacité relative des initiatives spontanées. En cela, le reflux syndical qui s'amorce dès le début des années 1970 semble engager la substitution de la réaction non-institutionnelle aux formes de « cogestion » – entre Etat, patronat et syndicats – qui prévalaient traditionnellement. Les ressorts de l'action collective s'en trouvent profondément refondés : si l'apaisement résolu des sociétés demeure chimérique, les conflits sociaux qui perdurent se relocalisent progressivement, vers la défense de plus en plus exclusive d'intérêts particuliers. Il devient dès lors délicat d'interpréter les dynamiques sociales à l'aune des projets globaux de société qu'elles tendraient à construire. L'action collective contemporaine présente donc un caractère ambigu, marqué tant par la persistance de traditions syndicales que par une certaine tentation rénovatrice de l'organisation sociale. L'action collective demeure-t-elle donc le produit des institutions sociales, ou tend-elle à s'affirmer comme ferment autonomiste de leur négation ? Si elle demeure, par ses exigences matérielles et organisationnelles, majoritairement déterminée par les structures traditionnelles d'institutionnalisation des conflits ; les formes d'allégeance induites par cette intermédiation mènent tendanciellement à l'élaboration de stratégies renouvelées d'action collective.
[...] En dépit des nuances formulables à l'endroit de cette appréciation, il est désormais indéniable que les outils d'analyse de l'action collective doivent être révisés. Les groupes qui en ont l'initiative sont d'abord de plus en plus nombreux et composites : l'idée d'un monopole de représentation des intérêts se trouvant progressivement dépassée, les individus à se coaliser plus souplement ; et des organismes traditionnellement axés sur la défense exclusive de l'intérêt général (corporations professionnelles, administration) prennent conscience de leur potentiel d'influence dans la détermination des orientations publiques. [...]
[...] Ces deux types d'organisation ne sont toutefois pas strictement comparables dans leur rapport à l'action collective. Si le patronat peut, relativement aisément, présenter des revendications officielles convergentes et cohérentes (essentiellement liées aux garanties de liberté d'entreprise et de marché) ; les syndicats sont indéniablement plus divisés. La multiplication de courants internes (réformistes, sociaux-démocrates, voire anarcho- syndicalistes ou révolutionnaires) fragilise leur position unitaire, celle- ci étant en outre compliquée par l'alternance entre revendications spécifiques (salaires, conditions de travail) et projets de société (égalité, justice sociale, parité, etc.). [...]
[...] Les objets et enjeux d'opposition se déplacent donc tendanciellement, troublant la formalisation des actions collectives. Si les agents de la fonction publique semblent se satisfaire de la représentation syndicale et de ses répertoires d'action assez traditionnels, les entreprises privées où la conjoncture défavorable incite peu à la syndicalisation voient se développer des formes d'action beaucoup plus autonomes. C'est ainsi que se multiplient des conflits en rapport avec l'identité des travailleurs (sexe, origine ethnique, environnement, etc.), les rythmes de travail ou les stratégies sociales ; qui se règlent de plus en plus fréquemment en dehors du monde syndical. [...]
[...] Les revendications mal définies, trop vaguement circonscrites ou non organisées collectivement se révèlent en effet fort délicates à défendre. Les associations de consommateurs peinent ainsi à se faire entendre, en dépit de l'audience potentiellement considérable qu'elles pourraient mobiliser, tant leur structuration, leurs visées et leur statut semblent confus. Les associations de défense des chômeurs, quant à elles, n'ont bénéficié d'une reconnaissance effective qu'à la faveur d'une crise économique, à la fin des années 1980, qui s'est révélée plus efficace pour la prise de conscience de la situation des demandeurs d'emploi que les tentatives désorganisées d'appels aux pouvoirs publics. [...]
[...] Ainsi, la défense durable d'une cause ne peut se satisfaire d'amateurisme, et ces nouveaux mouvements sociaux théorisés notamment par Foucault, Deleuze ou Guattari, doivent s'organiser en groupes de pression pour inscrire leurs revendications dans une démarche de long terme et conquérir de l'influence auprès des décisionnaires. Ces formes inédites d'institutionnalisation, même si leur effective nouveauté est discutable, troublent les organisations traditionnelles qui se trouvent prises de vitesse et concurrencées, sur un terrain désormais plus sociétal que social. Les NMS contemporains défendent en effet des positions globales, et de plus en plus politisées : le sociologue A. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture