Représentant de la deuxième génération de la « Théorie critique », baptisée « École de Francfort » après le retour d'exil de ses fondateurs, Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, Habermas est sans nul doute le penseur allemand contemporain le plus en vue. Ses prises de position sont largement relayées par les médias, en Allemagne et au-delà. Il est peu de domaines, jusqu'à la bioéthique, sur lesquels il ne se soit pas prononcé. Cet engagement accompagne un projet théorique qui, entre la fin des années 1960 et les années 1980, a pris corps avec une grande cohérence. Habermas a mené à bien une œuvre quasi systématique, à laquelle, après la théorie du Droit (Droit et démocratie, 1992), il ne manque guère, si on la juge à l'aune du système hégélien, qu'une Esthétique, qu'élèves ou disciples ont cependant produite en utilisant, parfois de façon critique, ses catégories. Sa « philosophie sociale », à la croisée de la science politique, de la sociologie et de la philosophie politique, constitue une référence majeure dans les débats contemporains sur la démocratie, le libéralisme et le communautarisme. Mais elle se caractérise surtout par un effort pour se doter d'une armature épistémologique plus visible, sinon plus solide, que celle des pères fondateurs de la Théorie critique.
[...] Il apporte un démenti formel à la rumeur selon laquelle la philosophie serait condamnée à la futilité et à l'inaction. S'appuyant sur une analyse lucide de la modernité, Habermas montre que si la tâche philosophique de médiation de la rationalité demande à être réévaluée, elle est non seulement possible mais essentielle. Pour le prouver, Habermas met en œuvre une conception de la philosophie liée à la critique de la société qu'il a lui-même construite et qui préconise une coopération de toutes les activités intellectuelles revendiquant une exigence de rationalité. [...]
[...] Pour développer cette éthique du consensus, Habermas se réfère notamment à Piaget[2] : pour que la représentation du monde évolue dans le sens de la rationalité, il faut un double processus de décentration (intégrer le point de vue des autres) et de structuration (différenciation des aspects de la réalité qui permet de saisir leurs relations). La rationalisation du vécu suppose une distinction entre la nature, la société et la personne (qui n'existe pas, par exemple, dans les sociétés primitives où la nature est interprétée en termes sociaux ; par exemple on exécute des rites aspect social pour faire tomber la pluie qui est un phénomène naturel). Au niveau du système, la rationalité se fait par l'argent et le pouvoir. L'intercommunication est court-circuitée par l'argent (je paie un service et n'ai donc plus à discuter). [...]
[...] La politique extérieure classique n'existe plus désormais. La politique extérieure se confond avec la politique culturelle, la politique économique, en même temps que s'effacent les frontières entre politiques intérieure et extérieure. Parallèlement, le cadre normatif du droit international s'est lui aussi transformé depuis les Tribunaux de Tokyo et de Nuremberg et depuis la fondation de l'ONU. Du fait de la criminalisation du régime nazi, les sujets du droit des gens (les Etats et les gouvernements, NDT) ont perdu la présomption d'innocence qui leur était accordée jusque-là. [...]
[...] Mais, à la différence de la plupart de mes collègues philosophes, je suis également convaincu que les théories philosophiques peuvent entretenir avec des théories scientifiques voisines une relation interdisciplinaire stimulante. On peut, par exemple, d'un côté, faire se rejoindre la théorie de l'activité communicationnelle ou l'éthique de la discussion et les travaux de psychologues du développement tels que Jean Piaget, Robert Selman et Lawrence Kohlberg, et, de l'autre, lui trouver une certaine fécondité pour l'étude comparée des images religieuses du monde ou pour aborder l'évolution des institutions juridiques. Dans certains cas heureux, il apparaît à ce niveau métathéorique que les approches se rejoignent. [...]
[...] Il existe chez Habermas une idée selon laquelle l'espace public est l'agora moderne. Le problème de nos sociétés est de mettre en présence des citoyens égaux en termes de parole et de droit. Sachant que la technocratie a pris un poids considérable, la décision politique émane en dehors de la société. Habermas recherche alors une pratique sociale égalitaire et démocratique, s'inspirant de la morale de l'autonomie de Kant pour établir les conditions d'un pouvoir légitime. Il va chercher à établir les conditions qui pourront le définir comme l'effort que fait chacun pour penser par lui-même. [...]
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