« Si la puissance exécutive n'a pas le droit d'arrêter les entreprises du corps législatif, celui-ci sera despotique, car, comme il pourra se donner tout le pouvoir qu'il peut imaginer, il anéantira toutes les autres puissances » (Montesquieu, De l'Esprit des lois, 1748). Pour Montesquieu, le droit de dissoudre le Parlement est une arme indispensable, confiée à l'exécutif, pour empêcher une éventuelle tyrannie parlementaire.
Désormais reconnu, par l'article 12 de notre Constitution comme un droit échouant au seul Président de la République, le pouvoir de dissoudre l'Assemblée Nationale n'a pas toujours été perçu comme un instrument démocratique et républicain. Longtemps, les constituants ont estimé que ce droit de renvoyer les parlementaires face aux électeurs, alors même que la législature n'est pas terminée, était un droit de type monarchique et qu'on ne devait pas le retrouver dans les Constitutions républicaines. Ainsi, la Seconde République n'autorisait aucune forme de dissolution. L'Assemblée Constituante de la IIIème République, dominée par les monarchistes, confia ce pouvoir au Président, mais, suite à la tentative autoritaire de Mac Mahon, plus aucun Président n'osa l'utiliser. Les constituants de la IVème, profondément parlementaristes assortirent l'usage de ce droit de condition si restrictives qu'il était quasiment impossible à mettre en place.
Aujourd'hui, dans l'ensemble des projets qui aspirent à une nouvelle Constitution, aucun n'envisage de supprimer ce droit, même les projets les plus parlementaristes. Le droit de dissolution, privilège apparent de l'exécutif, semble donc être désormais admis et même souhaité par tous. Dès lors se pose la question de son usage et de ses conséquences.
Le droit de dissolution ne sert-il que le bon vouloir du pouvoir exécutif ou peut-il être utile à d'autres pouvoirs ?
Si le droit de dissolution a, en France, toujours été du ressort de l'exécutif, les conséquences de la dissolution, elles, ont été de nombreuses fois au service d'autres organes.
[...] Si la dissolution sert historiquement les intérêts du pouvoir exécutif, de nombreuses dissolutions ont néanmoins permis au Parlement de s'affermir et de conquérir une certaine légitimité démocratique. Parallèlement, en demandant au peuple d'élire prématurément ses représentants, le droit de dissolution a renforcé la souveraineté populaire, laissant aux citoyens le soin de choisir l'orientation politique du pays. Les débats actuels autour d'une nouvelle forme de démocratie, dans laquelle le citoyen tiendrait une place plus prépondérante qu'actuellement, pourraient relancer la question de la dissolution. [...]
[...] Néanmoins, si le droit de dissolution est discrétionnaire, son application réelle ne l'ait pas. Dissoudre un Parlement qui vient d'être renouvelé par le peuple exposerait l'exécutif à la colère du peuple (la révolution de Juillet 1830 est d'ailleurs déclenchée après le Coup de force de Charles X pour tenter de dissoudre la Chambre à majorité libérale qui vient d'être élue). La dissolution est donc une arme à double tranchant qui peut se retourner contre l'exécutif, puisqu'en dernier ressort, le peuple est totalement souverain. [...]
[...] Exemple : Elections régionales largement gagnées par le PS en 2004 (vote sanction contre l'UMP en grande partie) ; Référendum sur le Traité Constitutionnel Européen. À défaut de mandat plus court, la dissolution peut permettre au peuple de s'exprimer sur l'enjeu de politique national, puis de s'exprimer sereinement sur les questions de politique locale Exemple : Dissolution de 1997 : les élections législatives auraient normalement dû avoir lieu en 1998 ; en avançant les élections, Jacques Chirac à permis au citoyen de s'exprimer sur l'enjeu de politique national (ils ont d'ailleurs largement sanctionné la majorité), ainsi, les élections cantonales et régionales de 1998 ont pu se dérouler dans un climat moins national, les Français ayant tranché la question politique un an auparavant. [...]
[...] Par ce biais, le Chef de l'Etat applique la dissolution comme une sanction contre les députés qui ont mis en minorité son gouvernement Exemple : Dissolution du 10 octobre 1962 alors que la Gouvernement venait d'être renversé Mais la dissolution peut également intervenir pour avancer les élections à une date qui paraît plus appropriée pour que le parti au gouvernement emporte les élections Exemples : Dissolutions de 1823 et 1827 pour devancer une crise évidente qui allait s'ouvrir avec l'effritement continu de la majorité ; Dissolution de 1997, pour avancer d'un an le renouvellement de la majorité : dans cet exemple, la tactique a échoué et c'est le parti d'opposition qui est devenu majoritaire, ouvrant la voie à une nouvelle cohabitation : la dissolution peut donc aussi, si elle est mal employée, servir l'opposition ! Transition : Dans toutes les Constitutions qu'a connue la France, le droit de dissolution a donc toujours été confié (quand il était reconnu par la loi fondamentale), au pouvoir exécutif, lui permettant d'asseoir son autorité face au Parlement. Les Gouvernements et les Chefs d'Etat ont donc largement usé du procédé (Six dissolutions en quinze ans sous la Restauration, six sous la Monarchie de Juillet et cinq depuis les débuts de la Vème République). [...]
[...] Ne peut-on pas envisager, par exemple, de confier directement au peuple le droit de dissoudre le Parlement ? Si cette question semble assez polémique, il n'est toutefois pas impossible qu'elle soit posée un jour. En effet, la mise en place du droit, pour les citoyens, de juger leurs élus (grâce à des jurys de citoyens, comme le propose Ségolène Royal) ne doit elle pas s'accompagner du droit, pour ces mêmes citoyens, de renvoyer leurs élus ? CABANIS André et MARTIN Michel-Louis, La dissolution parlementaire à la française, Presses de Sciences Po, Paris 2001. [...]
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