Comprendre le postmoderne, c'est comprendre en quoi il diffère du moderne (écart, opposition, etc.). Or, du point de vue « post-moderne » (sans préjuger du sens de ce terme : poststructuralistes, postmodernes, partisans de la modernité réflexive, etc. : il s'agit juste de partir du point de vue, de la koiné, de ceux qui pensent rétrospectivement le moderne, pour en marquer les écarts avec notre période), la modernité apparaît comme le moment des grands récits (Lyotard), correspondant d'ailleurs à l'invention en Angleterre et en France dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Par grands récits, il faut alors entendre un ensemble discursif total, structuré par un maître-mot (ou plusieurs) de légitimation, portant sur la totalité du social (du marxisme au libéralisme), à la fois descriptifs, normatifs et prescriptifs (idéologies). Au-delà des différences, il me semble que le récit moderne se structure autour :
A. de l'idée d'imperium. Cela se traduit par le rêve prométhéen/baconien de maîtrise de la nature par la science et la technique, afin d'améliorer le sort de tous ou quelques uns (classe, race, humanité, etc., selon les points de vue : le « discours » hitlérien est, hélas, aussi fruit de la modernité). Fondamentalement, comme le soulignent aussi bien Thomas Birch dans son fondamental « l'Incarcération du sauvage » que Naess, l'inventeur de la deep ecology, la modernité se pose comme rapport d'imperium (impérialiste) face à l'espace (la « Nature », perçue comme ensemble de ressources, plus que comme source). L'espace est à maîtriser et à ordonner (donner de l'ordre et des ordres : donner la Loi), comme dans la formule de Locke : « au commencement était l'Amérique ». La Frontière, l'Ouest, en ce sens est son grand mythe : il s'agit de conquérir, s'approprier et en ce sens de refouler la Wilderness, en « apportant la loi au sauvage » (Birch) - nature ou Indiens ou aborigènes... De là, seuls trois types de rapports sont possibles face à la Nature et à l'Autre (le Sauvage apparaissant comme l'Altérité absolue, qu'il faut confiner et contrôler, comme les réserves naturelles, où l'Autre est confiné et cultivé et en ce sens incarcéré à double tour) (...)
[...] On retrouve ce terme dans la critique littéraire espagnole des années 1930, pour critiquer la génération 98. C'est toutefois essentiellement avec Tonybee, après la Deuxième Guerre que le terme surgit vraiment, pour qualifier un (notre) époque : Tonybee date le phénomène de 1875, quand l'Angleterre triomphante commence à douter d'elle-même et que se développe la seconde révolution industrielle (celle de la voiture, du pétrole et de la chimie). Le terme qualifiera par suite l'Angleterre post-impériale du stop-and-go et du déclin géopolitique. [...]
[...] Lyotard introduise la notion ; Son apport est décisif : il diagnostique dans le monde d'après Auschwitz la crise des grands récits, voire leur mort. L'idéal du progrès s'est déchiré sur les barbelés des camps, produits eux-mêmes de la face noire de la modernité. Les grandes idéologies émancipatrices ne peuvent plus tenir et périclitent (marxisme, libéralisme, etc. [...]
[...] Inévitablement, le récit moderne est un récit désenchanté : il est celui de la fin de la religion (cf. Gauchet ou Weber) : le sens n'est plus donné dans un monde qui se dé-traditionnalise, et devient du même coup plus visible (il n'est plus une expression symbolique, de Dieu, la nature, ou que sais-je) : voir le regard porté sur les choses par le cinéma, et en particulier sur les rues. Le sens est désormais à trouver dans un espace vide et au fond à construire aussi patiemment que dans les polars de R. [...]
[...] peu importe les justifications). La flexibilité, symbolisée par le toyotisme, est devenu le maître-mot d'une société où les choses les dominent (d'où la machine à laver qui n'est programmer que pour durer que quelques années et qu'il faudra racheter). En effet, la raison elle-même risque de se mutiler, oubliant ses autres dimensions : la technique comme la science et plus généralement la raison ne perçoivent le monde que sous l'angle de la commensurabilité, et donc ne perçoit les choses que d'une manière rétrécie, mais nécessairement réifiante : tout devient équivalent et échangeable et finalement tout problème n'est plus que question comptable et arithmétique ; on comprend alors la formule de Bauman : la modernité a été une marche vers la prison (délimitation donc enfermement catégorisation, typification des choses et des hommes). [...]
[...] Le mouvement autonome de la technique et du monde des objets pervertit incontestablement la raison des Lumières, qui n'est plus que rationalité instrumentale, celui de la machine qui devient fin en soi. Max Weber utilisait l'image de la cage de fer, pour montrer que la complexification croissante des rapports sociaux et de la bureaucratie conduisait à hypostasier les moyens en fins. En effet, corollaire d'une modernité qui se définit par le fugitif, l'éphémère chers à Baudelaire est l'impératif de modernisation. [...]
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