L'engagement est le critère définissant l'intellectuel d'après J. Julliard et M. Winock (Dictionnaire des intellectuels). Si l'intellectuel devient politique avec l'affaire Dreyfus, la notion d'engagement naît véritablement à la Libération avec Sartre : c'est désormais une activité consubstantielle à sa qualité d'homme de culture. Si certains ont parlé de la « parenthèse de l'engagement » pour qualifier la période partisane, ne peut-on lui attribuer une définition plus large à une époque où l'engagement semble multiforme et anonyme ? On a bien assisté à la mort de l'intellectuel partisan mais qu'en est-il de l'intellectuel engagé ? Mais, avant tout comment le définir ? Car s'il y a bien une spécificité française, c'est de rattacher la notion d'intellectuel à celle de protestataire, d'homme critique, d'homme de pensée qui intervient, à certains moments, dans la vie politique au nom d'une éthique supérieure, au point de faire de l'expression « intellectuel engagé » un pléonasme. Pourtant, comme l'a souligné Aron, toute société génère ses intellectuels. L'engagement est-il défini de la même manière dans les autres sociétés modernes (comparables à la France) ? Les différences remettent-elles en question la définition de l'intellectuel engagé ? Connaissent-elles les mêmes interrogations que nous sur la mort de leurs clercs ?
I. Une spécificité française ?
II. La mutation de l'intellectuel engagé.
[...] L'intellectuel anonyme M.Winock introduit un troisième type d'intellectuel contemporain : l'intellectuel anonyme L'avènement d'un enseignement de masse et la mise en place d'une société de communication qui augmente l'accès à la parole ont repoussé les intellectuels dans la société aristocratique, mus par leurs intérêts et leur volonté de puissance. Aujourd'hui l'avènement de la démocratie est possible grâce à la participation égalitaire à la vie politique car nous sommes tous des intellectuels. Si on a encore besoin d'intellectuels attitrés c'est comme penseurs, pour que les citoyens puissent avoir des données sur leur avenir collectif. Les intellectuels ne doivent plus transformer le monde mais le penser. [...]
[...] Il trouve son expression dans l'écrivain et son prototype dans Voltaire ou Zola. On peut en effet faire remonter la notion d'intellectuel aux Lumières lorsque Voltaire et Rousseau se dressent contre l'arbitraire du pouvoir. L'affaire Calas peut être vue comme la scène fondatrice de la sortie du philosophe du monde des idées pour prendre part aux grands enjeux de la cité. S'applique alors la définition de P.Ory : un homme du culturel mis en situation d'homme du politique Porteurs d'une forme de déisme, une nouvelle responsabilité incombe aux gens de lettres du XVIII° siècle : un engagement politique. [...]
[...] L'intellectuel s'engage sans être partisan, mais ne peut parler sur tout. En effet il tire sa légitimité de ses compétences et ne peut donc intervenir que dans ce champ selon l' éthique du silence : l'intellectuel parle de ce qu'il connaît. L'intellectuel a envahi le champ des droits de l'homme et de l'humanitaire (Biafra, Bosnie, Ethiopie, Somalie), réfléchit sur le droit et la justice, défend les sans-papiers ou dénonce les inégalités socioéconomiques. Il a retrouvé son rôle premier d'« organisateur du tribunal de l'opinion Mais ses interventions sont ponctuelles ou spécialisées car il refuse tout historicisme. [...]
[...] La mutation de l'intellectuel engagé Barrès déjà critiquait la fonction sacerdotale de l'intellectuel à qui il déniait une clairvoyance privilégiée dans les affaires publiques. Aujourd'hui les leçons de la période de l'intellectuel partisan au service d'une idéologie ont été tirées. Reste à définir s'il reste une place à l'intellectuel engagé dans nos sociétés contemporaines caractérisées par la perte de sens en même temps que par la multitude d'informations et le cas échéant quelle place lui accorder. Autrement dit quelle forme peut prendre l'engagement dans nos sociétés de communication en crise identitaire ? [...]
[...] Des anciennes figures de l'engagement comme Arendt, Benjamin, Péguy ou Bloch sont revisitées. Des figures étrangères sont introduites au débat français, notamment les sociologues et philosophes allemands comme Weber ou J.Habermas, afin de découvrir un nouveau sens à l'agir. Assiste-t-on à la victoire posthume d'Aron face à Sartre ? La figure de l'intellectuel engagé dans nos sociétés contemporaines est-elle celle du Spectateur engagé plutôt que celle de l'engagement dans le sexe et le sang contre la bourgeoisie (Jean Daniel)? L'histoire des intellectuels engagés s'inscrit dans celle de la culture de masse. [...]
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