La conclusion du compromis austro-hongrois est la conséquence majeure de cette « année du destin », l'année 1866, qui a vu la Maison d'Autriche exclue des affaires allemandes et italiennes, et la destruction des derniers vestiges de sa mission impériale et universelle. Réduite à l'espace danubien, la vocation des Habsbourg va se trouver modifiée une dernière fois : après avoir été une dynastie allemande, après avoir eu des prétentions à la monarchie universelle, après avoir été une grande puissance continentale championne de l'ordre conservateur de Vienne, ils se trouveront réduits à diriger qu'un Etat multinational, brillant second d'une Allemagne impériale en pleine ascension. Cela constitue pour eux comme pour l'Europe une chance historique : alors que prévaut partout la logique d'Etat-nation, la Double Monarchie va s'inscrire dans un contre-modèle fructueux et aux virtualités infinies. Surtout, dans ce patchwork de nationalités et de diversités linguistiques qu'est l'Europe centrale, elle aura réussi à définir un cadre politique, culturel, humain original qui lui donnera une stabilité symbolisée par cette formidable richesse culturelle de La Vienne des années 1900.
Pourtant, après le printemps des peuples de 1848 qui touche son propre territoire, Prague et Budapest notamment, l'Empire d'Autriche ne peut plus ignorer une question fondamentale qui se fait jour ailleurs en Europe : celle des nationalités. Le problème n'est pas celui de l'Italie ou de l'Allemagne, mais celui de la coexistence de plusieurs groupes ethnolinguistiques au sein d'un état unique, dirigé par des Allemands et qu'il faut organiser. Après avoir octroyé une constitution en 1860 qui ouvre la voie au fédéralisme, l'empereur François-Joseph se tourne vers le centralisme et le néo-absolutisme dès 1861 par la Patente. Ces deux orientations ne satisfont personne. Avec le Diplôme, les Allemands craignent de perdre leur suprématie, sans que cela ne contente les minorités, et notamment les Hongrois, qui souhaitent revenir à leur constitution de 1848 qui leur accordait de larges prérogatives. Face à ces mécontentements, François-Joseph est dans l'obligation de trouver un compromis entre les peuples et la dynastie : ce fut fait en 1867, par le compromis austro-hongrois qui met en place un régime dualiste, où la Hongrie recouvre son autonomie. L'Empire prend alors le nom d'Autriche-Hongrie, et ce jusqu'en 1918. C'est cette ère du compromis que nous étudions ici, qui couvre un demi-siècle du destin exceptionnel d'une famille, les Habsbourg. Durant cette période, malgré quelques avancées, François-Joseph refuse de remettre en cause le statu quo et d'imposer les réformes qui auraient pu sauver son Empire.
[...] Ils cherchèrent le rapport de force comme les Hongrois quatre ans plus tôt, mais ne reçurent pas l'indispensable soutien de l'autre minorité. - La politique de compromis Malgré cet échec, la politique viennoise vis-à-vis des nationalités peut être qualifiée de conciliante, surtout à partir du cabinet Taaffe en 1879. Ce gouvernement conservateur incluait des membres du parti "Vieux- Tchèque", ce qui est révélateur de la volonté de rapprocher les périphéries du centre tout en sauvegardant l'unité du territoire. Les mouvements nationaux étaient toujours aussi influents, mais se contentaient de petites avancées concrètes vers une autonomie. [...]
[...] Dans tous les cas, le clergé (catholique, protestant, orthodoxe) a toujours fourni des cadres et favorisé le maintien de la langue. Un groupe ethnolinguistique a toujours disposé de traductions de la Bible, de catéchismes, auxquels s'ajoutait une littérature populaire diffusée sous forme d'almanachs. Sont venus s'y ajouter les mouvements de réveil culturel Enfin, l'évolution économique du XIXème siècle a favorisé l'essor de bourgeoisies nationales et de cadres intellectuels qui ont rejeté la tutelle des notables traditionnels appartenant à une nation historique (antagonisme Slovaques- Hongrois en Haute Hongrie, Polonais-Ruthènes en Galicie). [...]
[...] L'opérette y triomphait avec la musique de Johann Strauss fils, le théâtre attirait des artistes et des écrivains. Pour l'art et pour la mode, Vienne rivalisait avec Paris. Se croisaient sur le fameux carré devant l'Opéra des gens venus de toute l'Europe centrale. Or, ils restaient en relation avec leurs villes et leurs villages, où ils diffusaient le modèle culturel viennois. Ainsi, la mode, l'alimentation, les habitudes passaient de la capitale à Prague et Budapest d'abord, puis se diffusaient jusqu'à Klausenburg (Cluj), Reichenberg (Liberec) et Lemberg ( Lwow). [...]
[...] De plus, en 1848, ce n'était pas la Bohême mais la Hongrie qui avait fait sécession et proclamé la déchéance des Habsbourg, et sa loyauté était récompensée par l'incorporation dans un État unitaire dont le régime était à peine adouci par certaines mesures de décentralisation. La diète de Bohême en 1867 se trouvait peu de pouvoirs par rapport au Parlement de Budapest. Sentant le danger des négociations austro-hongroises, Palacky s'était élevé, dès 1864, dans un article du journal Narod contre l'idée du dualisme. L'année suivante, dans L'idée de 1 'État autrichien, il revenait à l'austroslavisme et devinait que le dualisme conduirait au panslavisme et par conséquent, à la ruine à terme de la monarchie. [...]
[...] C'était là les relations des Cacaniens entre eux : ils se considéraient les uns les autres avec la peur panique de fragments qui, toutes forces unies, s'empêchent réciproquement d'être quelque chose . Depuis que le monde est monde, il n'est pas un seul être qui soit mort faute de nom , on n'en a pas le moins le droit d'ajouter que c'est ce qui arriva à la double monarchie autrichienne et hongroise et austro-hongroise : elle périt d'être inexprimable. Incarnation des oeuvres nostalgiques d'après-guerre, l'Homme sans qualités témoigne certes du caractère hybride de la monarchie danubienne, de son inadéquation par rapport à une époque de triomphe des logiques nationales, mais aussi de sa vitalité, de l'immense force d'inertie de ses institutions et traditions, de son caractère indispensable à cette Mitteleuropa si diverse. [...]
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