Il s'agit d'un article rédigé par Guy Pervillé, historien, le 24 novembre 2008 sur le blog de la revue en ligne "Études coloniales" qui publie des recherches portant sur l'histoire coloniale et postcoloniale, sur l'histoire des constructions mémorielles et sur les immigrations d'origines coloniales. Plusieurs contextes sont concomitants à la rédaction de cet article. Tous sont liés et ont contribué à la rédaction de ce texte.
Dans l'immédiat, Guy Pervillé répond à un article paru dans Le Monde, le 8 novembre 2008, écrit par trois historiens, membres du Comité de Vigilance des Usages publics de l'Histoire ( Catherine Coquery-Vidrovitch, Gilles Manceron et Gérard Noiriel ) qui répondent au débat lancé un mois plus tôt dans le même quotidien par Pierre Nora et Christiane Taubira sur la place du législateur et du citoyen dans l'écriture de la mémoire collective.
Il faut replacer le débat Nora-Taubira dans un contexte un peu plus ancien : le débat sur la loi Mékachera du 23 février 2005. Dans un de ces articles, la loi Mékachera enjoint les professeurs d'histoire-géographie à enseigner les aspects positifs de la colonisation. Outrée, la communauté des historiens a demandé le retrait de cet article et a dénoncé la tentative du législateur de créer une vérité historique tout comme une menace sur la liberté des historiens.
Plus largement, ce débat est à replacer dans le contexte du vote de lois mémorielles par le Parlement français. On peut définir les lois mémorielles de la manière suivante : ce sont des lois qui déclarent ou imposent le point de vue officiel d'un État sur des évènements historiques. Certaines peuvent être simplement déclaratives alors que d'autres sont effectives, elles s'assortissent de sanctions judiciaires en cas de transgression.
L'enjeu principal du texte est d'étudier les rapports entre histoire, mémoire et loi. Histoire et mémoire sont souvent confondues. L'histoire tend à une certaine exhaustivité et à une certaine impartialité tandis que la mémoire contient une forte charge émotionnelle et ne se concentre que sur les conséquences de l'histoire pour un groupe en particulier : les Arméniens, les Noirs, les résistants....
Guy Pervillé dénonce ici le danger des lois mémorielles pour la liberté de l'historien et réclame leur abrogation. Il s'oppose aux trois historiens du Comité de Vigilance sur les Usages publics de l'Histoire qui, eux, justifient l'intervention du législateur.
[...] Néanmoins, certains historiens avaient mis en garde contre la pénalisation de la loi Gayssot dès sa rédaction. Guy Pervillé reprend les arguments qu'il partage de Pierre Vidal-Naquet et surtout de Madeleine Rébérioux. En tant que présidente de la Ligue des Droits de l'Homme, Madeleine Rébérioux avait mis en garde contre le risque des lois mémorielles. Elle ne s'oppose pas au contenu de la loi : elle n'est ni négationniste, ni révisionniste. Plutôt, elle faisait preuve d'une inquiétude réfléchie pour la survie de la liberté de l'histoire en France Ces lois ouvraient la porte à un certain musellement de la discipline historique. [...]
[...] La fin de la liberté historique ? L'affaire Pétré-Grenouilleau L'affaire Pétré-Grenouilleau a ému une partie de la communauté des historiens et a conduit à la création de l'association Liberté pour l'Histoire, dont Guy Pervillé se fait ici le héraut, dans le but de défendre la liberté de la recherche historique. Olivier Pétré-Grenouilleau a été primé par le Prix de l'Histoire du Sénat en juin 2005 pour son essai d'histoire globale sur les traites négrières. A cette occasion, il a donné une interview dans laquelle il a remis en cause la loi Taubira-Ayrault. [...]
[...] Or, même si l'horreur de cette déportation inhumaine aurait dû, bien entendu, entraîner une condamnation beaucoup plus précoce que l'interdiction de la traite qui fut décidée par le Congrès de Vienne en 1815, et l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises en 1848, il n'en reste pas moins vrai que le vote d'une loi pénale rétroactive reposant sur la catégorie de «crime contre l'humanité» instituée pour la première fois par l'acte fondateur du tribunal interallié de Nuremberg en 1945, et intégrée dans le droit commun français en 1994, contredit d'une manière flagrante le principe général de non-rétroactivité des lois, et aboutit à définir un crime dont tous les coupables comme toutes les victimes sont bien évidemment morts, ce qui est une absurdité juridique manifeste. On avait pu penser, là encore, que ce n'était qu'une bizarrerie sans conséquence. Mais c'était compter sans l'article lequel avait pour but de trouver des coupables à juger en reconnaissant aux descendants d'esclaves le droit de porter plainte contre tous ceux qui, à leur avis, porteraient atteinte à l'honneur de leurs ancêtres. Pendant quatre ans, cet article parut une curiosité aberrante, jusqu'à ce qu'il soit utilisé pour attaquer un historien, Olivier Pétré-Grenouilleau. [...]
[...] La loi Gayssot concernait la négation du génocide hitlérien, dont les victimes et certains coupables sont encore vivants. La loi du 29 janvier 2001 reconnaissant le génocide des Arméniens de 1915 peut sembler étrange puisqu'elle reconnait un génocide ( sans préciser qui est le coupable ) dans lequel la France n'a joué aucun rôle. La loi Taubira-Ayrault du 21 mai 2001 qui reconnait la traite et l'esclavage comme crimes contre l'humanité est un tournant : elle transgresse au principe de non-rétroactivité des lois en qualifiant des actes perpétrés jusqu'en 1848 dont toutes les victimes et coupables sont morts par un terme spécialement inventé par le tribunal de Nuremberg pour qualifier l'horreur et l'exceptionnalité des crimes nazis. [...]
[...] La liberté de l'histoire et des historiens n'est pourtant pas contraire à l'intérêt bien compris des citoyens d'un État libre. Rappelons ce qu'écrivait Charles-Robert Ageron en 1993 : «s'agissant de drames récents dont la mémoire risque d'être transmise déformée aux jeunes générations, qui n'ont connu ni "l'Algérie de papa", ni "l'Algérie des colonialistes", les historiens ont le devoir d'être plus prudents encore que leur métier ne l'exige habituellement. Si l'objectivité est philosophiquement impossible, l'impartialité est une vertu que tout historien peut et doit s'imposer (30). [...]
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