Le 4 octobre 1958, la France se dote d'une nouvelle Constitution, celle de la Vème République. Pour la 1ère fois en France est instauré un régime stable et efficace – et ces deux qualificatifs vont nécessairement de pair. Ce nouveau texte constitutionnel est avant tout le produit de l'expérience politique de la IIIème République, où la responsabilité totale et sans contrepartie des gouvernements face à un Parlement où se redessinent chaque jour de nouvelles alliances, de nouvelles majorités empêche la conduite à moyen ou long terme de politiques claires et efficientes; où l'opacité des décisions (des agissements diront même certains) des élus alimente l'antiparlementarisme d'une part croissante de la population; où une Chambre des députés omnipotente, face à un exécutif impuissant, se compromet définitivement en condamnant la France démocratique, un funeste jour de juin 1940. La IVème République, après la « communion du peuple français » dans la victoire (il est alors capital de ne pas diviser la France résistante et la France passive voire complaisante à l'égard de l'Occupant), ne fait que réinstaurer cette ochlocratie parlementaire avec ses féodalités - c'est du moins l'avis du Général de Gaulle – tout juste les dirigeants communistes et socialistes parviennent-ils à constitutionnaliser des droits sociaux.
Mais la Vème République (re ?)donne la suprématie au Gouvernement, au pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif: c'est lui qui, avec une majorité visible et nette, fixe les grandes orientations politiques. Ce nécessaire affaiblissement (selon les constituants de 1958) passe aussi par le retour devant le peuple, par le référendum et par l'élection directe du Président de la République à partir de 1962. Naturellement, tout cela relève de la volonté du Général; cependant, on peut également y voir la vision claire de spécialistes, de constitutionnalistes. Ces hommes, ce sont principalement Michel Debré et René Capitant: des convictions différentes les agitent, mais leur analyse de la vie politique et constitutionnelle des IIIème et IVème Républiques les rapproche et leurs observations, qui marquaient jusque là la réflexion des universitaires, des techniciens, vont donner naissance à la dynamique créatrice de 1958 puis interprétatrice de 1962.
Il n'aurait pas grand sens d'exposer tour à tour la pensée constitutionnelle de Michel Debré puis celle de René Capitant: car les épreuves que la France traverse, les épreuves qu'ils traversent (ligues, Front Populaire, Munich, débâcle, Vichy, exil, Résistance, victoire, déception de 1946…) les font évoluer; leur pensée constitutionnelle se modifie et avec leurs convictions, leur compréhension et leur définition de la démocratie. La pensée constitutionnelle de Michel Debré, la pensée constitutionnelle de René Capitant, c'est l'évolution et la réactualisation de leur pensée constitutionnelle – et c'est là ce qui fait leur grande intelligence. La formation des idées constitutionnelles de ces deux hommes, à travers les textes de leurs maîtres, l'analyse de la vie politique des IIIème et IVème République et les projets avortés de nouvelle République, va ensuite se cristalliser par l'intermédiaire du prisme gaullien lors de la rédaction de 1958 puis des interprétations constitutionnelles qui lui font suite et lui donnant sens, véritable aboutissement d'une pensée constitutionnelle mûre et cohérente.
[...] Le rôle du Parlement est d'ordre politique. Or, la connaissance technique des problèmes ne permet pas de les deviner et encore moins de les résoudre Debré propose au contraire d'établir 40 sénateurs inamovibles pour assurer une certaine stabilité à l'ensemble parlementaire : cette option est rejetée aussi bien par ses pairs du CGE que par le Général, qui proposera dans son discours de Bayeux la forme d'organisation du Sénat qui sera celle de la Constitution de 1958. Cependant, la IIIème République puis même la IVème République s'avèrent incapables, de par leur disposition institutionnelle, de produire des majorités stables et surtout cohérentes ; aux yeux de Debré, c'est le mode de scrutin qui conditionne l'existence puis l'efficacité d'une majorité. [...]
[...] Si Michel Debré ne parvient pas à imposer la constitutionnalisation du nombre de parlementaires, il fait de tout changement concernant ce nombre, les conditions d'éligibilité un domaine de la loi organique, et non pas ordinaire (art. 25-1) : naturellement, cette mesure est centrale dans le processus de rationalisation, en permettant une plus grande souplesse au texte constitutionnel, avec toujours pour but d'asseoir un pouvoir pérenne. Il convient aussi de se pencher sur la procédure du vote bloqué, énoncée à l'article 44-3, qui prévoit que si le Gouvernement le demande, l'assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement : on ne trouve nulle part trace de prémisses à cette mesure dans les ouvrages de Michel Debré, mais elle abonde bien dans le sens de sa pensée qui vise à faire du gouvernement le véritable organe d'impulsion de la République, le Parlement décidant certes mais devenant avant tout contrôleur, garant des libertés. [...]
[...] La limitation du Parlement n'est acceptable et efficace que dans la mesure où la souveraineté du peuple est affirmée : le Président, responsable devant le peuple (comme l'a montré la pratique référendaire gaullienne) peut poser une question de confiance à l'ensemble des Français. La formule de François Mitterrand je préfèrerais renoncer à mes fonctions qu'aux compétences de mes fonctions est à cet égard le témoin de la pérennité de l'influence des interprétations constitutionnelles de René Capitant. La doctrine Capitant est également révélatrice de la trace qu'a laissée ce constitutionnaliste d'exception dans l'interprétation de la Constitution : en 1958, l'Assemblée de Djibouti refuse d'entrer dans la Communauté et reste liée à la République française, indivisible au terme de l'article 1er de la Constitution. [...]
[...] Cependant, en tant que gaulliste de gauche, esprit farouche, toujours catégorique, il n'hésitera pas à proposer des interprétations dynamiques et audacieuses de la Constitution dans le sens le plus démocratique, et non pas en fonction d'opportunités politiques pour lesquelles il n'a toujours eu que mépris. Les interprétations constitutionnelles de ces deux hommes mettent en avant la cohérence de la pensée constitutionnelle de René Capitant et légitiment la pratique gaullienne des textes En 1962, le Général de Gaulle fait accepter par référendum l'élection au suffrage universel direct du Président de la République : on n'a à ce sujet que trop cité la phrase (tronquée) de Michel Debré, qui écrivait en 1959 que l'élection du Président au suffrage universel direct signifierait que nos enfants seraient gouvernés par un général à la manière des pronunciamientos C'est négliger le fait que la conception d'un exécutif puissant, dont la clef de voûte serait véritablement le chef de l'Etat, est l'un des fondements même de la pensée constitutionnelle de Michel Debré ; et nous avons vu plus haut que cet apparent revirement d'opinion était déjà présent dans l'idée de faire élire le Président par un collège élargi et représentatif de la Nation. [...]
[...] La pensée constitutionnelle de Michel Debré, la pensée constitutionnelle de René Capitant, c'est l'évolution et la réactualisation de leur pensée constitutionnelle et c'est là ce qui fait leur grande intelligence. La formation des idées constitutionnelles de ces deux hommes, à travers les textes de leurs maîtres, l'analyse de la vie politique des IIIème et IVème République et les projets avortés de nouvelle République, va ensuite se cristalliser par l'intermédiaire du prisme gaullien lors de la rédaction de 1958 puis des interprétations constitutionnelles qui lui font suite et lui donnant sens, véritable aboutissement d'une pensée constitutionnelle mûrie et cohérente. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture