D'une manière assez curieuse, l'Autriche de l'entre deux guerres a enfanté pléthore de grandes
plumes qui ont produit une oeuvre dans un contexte de tension extrême entre désarroi d'un passé
harmonieux mais détruit, et angoisse d'un avenir qui voyait se transformer les idées des lumières et
le positivisme en un monstre qui allait détruire la civilisation et la culture Mitteleuropéenne de la
monarchie impériale austro-hongroise.
Ces écrivains, nous les connaissons: Stephan Zweig et son Monde d'hier, Robert Musil et sa
« Cacanie », Joseph Roth et tant d'autres.
Il s'agira donc d'analyser la perception que Joseph Roth avait de cet Empire multinational disparu
dans les traités de paix de 1918. En quoi cet Empire était-il cosmopolite bien que déséquilibré?
Quels étaient selon Roth les élément de cohésion de cet Empire? Qui a tué l'Autriche-Hongrie et
comment expliquer cette nostalgie manifeste chez lui?
En quoi cet Empire était-il aussi cosmopolite que déséquilibré
Après avoir vu l'Empire comme un ensemble épargné par l'histoire et gage de sécurité pour ses
ressortissants, nous verrons en quoi il contenait sa propre perte et comment elle s'est réalisée, pour
ensuite tenter de comprendre l'attachement de Roth a cet ensemble à jamais disparu comme
résistance au nazisme.
[...] On retiendra juste que ces revendications nationales quelque peu escamotées par les dirigeants politiques explique la brutalité de la dislocation de l'Empire en 1918. La vision critique de Roth, notamment développée dans la CC, comprend la question des nationalités, mais surtout les déséquilibres considérables entre la Vienne centrale et les Etats de la couronne qui composent la Double Monarchie. Selon Robert Magris, c'est une vision slavofédéraliste, périphérique de son Empire: la véritable richesse de l'Empire multinational se situe dans ses marges, en Galicie ou en Slovénie, venant nourrir une Vienne hypertrophiée et gâtée dans une relation d'amour sans réciprocité, de don sans contre-don. [...]
[...] Une armée qui, par le recrutement de ses cadres et le service militaire opérait une alchimie entre brassage social et ethnique et en même temps fidélité pleine et empereur à François-Joseph qui garde après le Compromis l'unité de commandement et la langue, c'est à dire l'Allemand même en Hongrie. La cacanie c'est aussi la bureaucratie, symbolisée par François von Trotta, préfet d'une province centrale de l'Empire. Une bureaucratie qui investit le mode de vie de ses titulaires et qui vient là encore construire le mythe de la stabilité par la lenteur des rythmes, la poussière des bureaux et la lourdeur des protocoles. [...]
[...] Plus que jamais, la question des déséquilibres et des faiblesses de l'Empire est silencieuse mais omniprésente chez Roth: tout au long de la Marche de Radetzky, la prise de conscience de ces périls monte en puissance chez les Trotta comme chez l'Empereur. Dans la Crypte des Capucins, l'imminence de la guerre rend encore plus pesant ce discours eschatologique. 2.Les déséquilibres: nation, question sociale et immobilisme politique. Dans la Marche de Radetzky et la Crypte des Capucins, le comte Chojnicki, qui devient fou pendant la guerre, livre toutefois des analyses intéressantes sur les nouvelles forces politiques qui émergent dans le cadre de la constitutionnalisation du régime et qui occupent le devant de la scène politique après guerre: les nationalistes fous désignent l'ensemble des nouvelles forces politiques austro-hongroise: le partis nationaux libéraux et conservateurs, mais aussi les sociauxdémocrates et les chrétiens sociaux. [...]
[...] A Paris, entre alcoolisme chronique et engagement aussi irrationel que manifeste dans le camp légitimiste monarchiste des Autrichiens en exil, il écrit en 1938 une sorte de suite à la Marche de Radetzky: La Crypte des Capucins, qui commence à la veille de la Grande Guerre pour finir dans une Vienne sous couvre-feu après l'annonce de l'Anchluss. Il meurt à Paris l'année suivante. C'est à partir de ces deux romans que nous nous interrogerons sur la perception de cet ensemle multinational et multiculturel disparu qu'était la monarchie habsbourgeoise d'AutricheHongrie. [...]
[...] Le grand père Trotta, slovène originaire de Sipolje devient le héros de Solférino en sauvant la vie de l'Empereur, devient du coup baron Joseph Trotta von Sipolje, entrant à travers l'institution militaire dans l'aristocratie d'Empire. Son petit fils Charles Joseph, sous-lieutenant d'infanterie, grandit à l'école des Cadets dans l'espoir de réaliser le même acte héroïque que son aïeul et de mourir pour l'Empereur L'armée, c'est la patrie k.u.k (Kaiserlich und Königlich), ce que Robert Musil appelle la Cacanie pour définir l'Autriche-Hongrie de François-Joseph. Une institution majeure qui transcende les particularités nationales, religieuses et ethniques pour couvrir toute une mosaïque de populations sous le spectre de l'Empereur. [...]
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