« L'amitié est une âme en deux corps » affirme Aristote dans L'Éthique à Nicomaque, évoquant par là même en filigrane le rapport problématique existant entre l'amitié pour soi et l'amitié pour l'autre. Ce thème est par la suite développé au sein du chapitre 4 du livre IX, intitulé « Analyse de l'amitié – Altruisme et égoïsme », qui a une importance significative au sein de l'œuvre, que l'on constate ne serait-ce que sur le plan formel par la rupture thématique qu'il représente avec les précédents chapitres traitant des conflits, et les suivants qui caractérisent l'amitié par rapport à d'autres relations à autrui. Aristote y avance l'idée que l'amitié de l'autre dérive de l'amitié que l'homme vertueux a pour soi même. Ce passage soulève de nombreux problèmes : tout d'abord, celui du rapport de l'homme à lui-même. De deux choses l'une : ou bien l'homme est considéré comme un, l'amitié qu'il ressent peut uniquement être dirigée vers ses pairs, et est indépendante de son égoïsme ; ou bien, et c'est la position d'Aristote, on postule une pluralité de l'âme et alors les relations de l'homme à lui-même, en particulier l'amitié pour soi, sont possibles, et l'amitié pros hétéron (pour l'autre) est pensée comme dérivée de l'amitié pros héauton (pour soi).
[...] Enfin, le désaccord entre les diverses parties de l'âme à l'œuvre chez les hommes mauvais les empêche de ressentir librement leurs propres joies et peines, car ils sont chargés des regrets du fait d'avoir cédé au plaisir Aristote conclut son texte en affirmant qu'il est impossible à l'homme mauvais de s'aimer, parce qu'il n'a en lui rien qui soit aimable Dès lors, l'amitié envers les autres est impossible, et comme il était affirmé dès le chapitre 1 du livre VIII qu'il était impossible d'être heureux sans ami, il est impossible d'être heureux sans être vertueux. Ce passage de la philautia à la philia pros hétéron n'est qu'une des démonstrations de la nécessité de la vertu au bonheur pour Aristote. Le préalable de l'estime égoïste avant l'amitié altruiste peut bien entendu faire objet de critiques, notamment à propos de la séparation nette entre subjectivité personnelle et subjectivité d'autrui. [...]
[...] L'auteur commence cette partie de façon quelque peu doxographique, en évoquant le fait d'expérience selon lequel les hommes pervers font partie de la plupart des hommes et peuvent à ce titre être inclus dans la démonstration précédente. En effet, la philautia est possible non seulement pour les hommes de bien, mais également pour la plupart des hommes, car ceux-ci se croient hommes de bien. Pourtant, les hommes d'une perversité ou d'une scélératesse achevée dont il est question dans cette troisième partie ne sont pas inclus dans ce groupe, en cela qu'ils ne donne(nt( même pas l'impression d'avoir les qualités vertueuses, pas même à eux-mêmes. [...]
[...] Il y a donc une distinction de l'égoïsme commun avec l'égoïsme de l'homme vertueux, seul fondement de l'amitié. Cette différence est fondamentale en cela qu'elle permet de concevoir l'égoïsme de l'homme non pas comme un orgueil malsain et péjoratif, mais au contraire, comme un attachement logique et moral au bien lui-même, car c'est bien la vertu que l'homme de bien apprécie en lui-même. Ce caractère est mis en valeur dans l'analyse qu'Aristote propose des quatre caractéristiques de la philia pour soi. [...]
[...] Il y va de justifier l'égoïsme de l'homme vertueux. Dans un premier moment (paragraphe Aristote présente sa thèse et rappelle les caractéristiques (ta philika) de l'amitié. Puis (paragraphes 2 et il démontre que ces caractéristiques sont également présentes dans la relation pros héauton et en déduit que celle-ci est première par rapport à l'amitié de l'autre. Enfin (paragraphes 4 et pour parachever sa démonstration, Aristote étudie le cas inverse de l'homme non vertueux et expose son incapacité à l'amitié tant individuelle qu'altruiste. [...]
[...] Il ressort finalement que l'amitié altruiste dérive de l'amitié égoïste de l'homme vertueux, qui est justifiée par son amour du bien, en cela que leurs caractères sont semblables. L'amitié ne peut être conçue sans amour de soi, et est donc impossible aux hommes mauvais ; l'aspiration à la vertu trouve donc un intérêt supplémentaire en la capacité d'amitié qu'elle permet. L'éloge de l'égoïsme vertueux que l'on découvre en creux dans ce chapitre se poursuivra au chapitre 8 du livre IX L'égoïsme, son rôle et ses formes qui va plus loin encore en définissant l'amour de soi chez l'homme de bien comme un devoir. [...]
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