Dès l'antiquité grecque, la naissance de la pensée rationnelle s'opéra en s'extirpant du poids des mythes. Ce progrès dans la réflexion en direction d'une connaissance plus sûre et plus profonde s'accompagna aussi d'une certaine désillusion en raison de l'écroulement des cadres de pensée et d'action classiques. Le même mouvement se reproduisit aux débuts du XXème siècle. Max Weber souligna ainsi l'effet de "désenchantement du monde" opéré par le déploiement de la pensée légale-rationnelle. Là encore, le monde des mythes reculait et s'effaçait engendrant un malaise, une désillusion. La même thèse fut reprise par Marcel Gauchet qui la transposa pour analyser le déclin du caractère structurant des religions.
La formule ne vaudrait-elle pas aussi pour l'analyse des politiques publiques ? Ce champ récent de la recherche et de l'enseignement n'induit-il pas la remise en cause du mythe de la toute-puissance du politique ? C'est ce que semble indiquer la belle formule du politiste américain Kenneth Boulding. En s'établissant comme discipline académique, l'analyse des politiques publiques aurait ainsi prolongé le mouvement de désenchantement et dissiper l'illusion du politique. Faut-il alors en conclure que la politique n'est qu'une entreprise mystificatrice ? Assurément, ce point de vue apparaît excessif. À chaque fois, le désenchantement a également donné naissance à une nouvelle forme de rationnalité. Au demeurant, les intentions initiales des promoteurs de l'analyse des politiques publiques comme Harold Lasswell étaient plutôt d'éclairer et renforcer le jeu démocratique.
Cette double limite révèle le caractère ambivalent de la formule de Kenneth Boulding. En effet, si d'un côté, l'analyse des politiques publiques récuse la toute-puissance du politique, d'un autre côté, elle affirme la rationalité sociale de la politique.
(...) En postulant légitimement l'autonomie du politique, le rationalisme moderne a pu involontairement donner naissance à deux croyances erronées : d'une part, le volontarisme politique absolu qui conduit à affirmer le règne sans partage de la volonté du politique au détriment de la réalité sociale et de sa complexité ; d'autre part, le rationalisme politique
absolu a conduit à affirmer le possible règne d'une politique intégralement rationnelle vouée inéluctablement à la réussite. L'analyse des politiques publiques a précisément conduit à congédier ces deux figures de style traditionnelles de la politique (...)
[...] Mais celui-ci comporte aussi bien un versant négatif conduisant à congédier une figure ancienne de la politique qui peut tout sans se préoccuper de la complexité sociale, qu'un versant positif conduisant à reconstruire une image de la politique enserrée dans une logique sociale plus globale. L'institutionnalisation du désappointement fut donc un aiguillon critique mais aussi un puissant stimulant pour forger une compréhension intégrant la complexité sans cesse grandissante de la société. [...]
[...] En s'établissant comme discipline académique, l'analyse des politiques publiques aurait ainsi prolongé le mouvement de désenchantement et dissiper l'illusion du politique. Faut-il alors en conclure que la politique n'est qu'une entreprise mystificatrice ? Assurément, ce point de vue apparaît excessif. À chaque fois, le désenchantement a également donné naissance à une nouvelle forme de rationnalité. Au demeurant, les intentions initiales des promoteurs de l'analyse des politiques publiques comme Harold Lasswell étaient plutôt d'éclairer et renforcer le jeu démocratique. Cette double limite révèle le caractère ambivalent de la formule de Kenneth Boulding. [...]
[...] La rationalité complexe de l'action publique : le poids du social et de la société civile sur l'action s'est considérablement accru ce qui contribue à la complexification de celle-ci. L'analyse des politiques publiques se saisit de ce problème en tentant de rendre compte à la fois de la multiplication des niveaux de fabrication de l'action et de la multiplication des acteurs à chacun des niveaux. Le concept récent de gouvernance multi-niveaux est précisément une tentative pour saisir la logique complexe d'interactions Conclusion : Historiquement, l'analyse des politiques publiques s'adosse bien à un processus d'institutionnalisation du désappointement. [...]
[...] L'analyse des politiques publiques n'a plus d'hostilité au changement. Si pendant longtemps, les modèles privilégiaient la continuité, désormais, de nombreux outils permettent d'appréhender les conséquences de la volonté politique en terme de changement. La politique a donc bien un effet même s'il est plus limité. Par exemple, les modèles cognitifs permettent d'appréhender des changements radicaux aux vastes conséquences (exemple d'Airbus avec P. Muller, des politiques économiques sous Reagan et Thatcher avec Peter Hall, refonte de la PAC avec Eve Fouilleux ) ; les modèles stratégique ou de l'équilibre ponctué permettent d'envisager des changements de moyenne portée ; même le néo-institutionnalisme autorise de penser le changement comme l'attestent les analyses de Bruno Pallier sur la réforme des retraites ou de la santé. [...]
[...] L'analyse des politiques publiques a précisément conduit à congédier ces deux figures de style traditionnelles de la politique. La récusation du volontarisme absolu en politique Le contexte historique : l'analyse des politiques publiques a pris sont envol avec le déploiement du Welfare State. Mais son rôle fut surtout de montrer que les grands programmes d'action de l'ère Kennedy et Johnson, en dépit d'une volonté manifeste de changer la société, ne produisaient pas du tout les effets attendus. En ce sens, l'analyse des politiques publiques relativisa immédiatement l'importance de la volonté politique. [...]
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