Le 1er mars 2003, la Turquie refusait aux Etats-Unis l'utilisation de ses bases militaires et le stationnement de troupes américaines sur son territoire empêchant l'ouverture d'un second front par la coalition menée par les Etats-Unis dans sa campagne irakienne. Ce geste entraîna le refroidissement soudain des relations turco-américaines . Même si depuis lors, de nombreux efforts ont été fournis par l'Administration Bush pour créer un rapprochement, les rapports entre les deux pays restent indéniablement tendus, marqués par un manque de confiance mutuel. Une nouvelle période semble s'être ouverte avec la fin du soutien automatique de la Turquie à la politique interventionniste américaine et la prise de conscience et en considération par les dirigeants turcs de ses propres intérêts stratégiques et une volonté d'autonomisation en matière militaire et défensive .
Concomitamment, le second partenaire occidental, à savoir l'Union européenne, opéra un remarquable revirement d'attitude vis-à-vis de ce qu'elle considérait jusqu'alors comme un éternel candidat à l'adhésion. Amorcée le 11 septembre 2001, la prise de conscience de l'importance pour l'Union de revoir son rôle sur une scène internationale se vit confirmée avec la crise irakienne . Outre le « pont civilisationnel » que la Turquie, démocratie laïque et à population majoritairement musulmane, représente, l'Union a pris conscience dans le courant de l'année 2003 de l'intérêt militaire et géopolitique que son adhésion représenterait. Alors que tous les chefs d'Etat européens avaient rejeté la candidature de la Turquie en 1999, la plupart se révèlent aujourd'hui pour l'adhésion et ce principalement pour des raisons relatives à la politique étrangère et à la sécurité. A ceux qui opposeraient à cela le risque de voir des pays tels que l'Irak et la Syrie composer le voisinage direct de l'Union, les dirigeants européens rétorquent que ces pays lui sont voisins depuis le 11 septembre 2001. En réalité donc, ce changement d'attitude de l'Union européenne est entièrement lié à la manière dont ses Etats membres ont perçu le 11 septembre et, à sa suite, la crise irakienne. La déclaration du commissaire à l'élargissement Günter Verheugen lors du 9ème forum européen du 16 novembre 2003 en est la parfaite illustration. Ainsi déclara-t-il : « on craint que le plus grand conflit du XXIème siècle n'oppose les puissances occidentales et le monde islamique. La Turquie est le pays le plus important qui pourrait démontrer que l'état [respectant les] droits de l'Homme est compatible avec l'Islam […]. Après le 11 septembre 2001, les chefs d'Etat et de gouvernement des pays de l'Union ont compris que l'attachement de la Turquie aux démocraties occidentales est impératifs » . Ce changement d'attitude est donc dû à la prise de conscience de l'existence d'un ennemi commun, révélateur d'une profonde réalité stratégique commune : le terrorisme islamiste. L'enjeu est donc de taille : l'ancrage de la Turquie musulmane dans un système de défense et de sécurité occidental discréditerait à lui seul la théorie d'un clash des civilisations inéluctable, théorie promue par Huntington et que les événements actuels ne semblent pas démentir.
La crise irakienne fut donc le révélateur du poids incontestable de la Turquie sur la scène internationale. Révélateur pour ses alliés mais aussi pour elle-même. Désormais consciente de son importance stratégique, elle manifeste sa ferme volonté d'être considérée comme telle et non pas comme un simple instrument au service de tactiques mal définies. La Turquie est et reste certes l'allié de l'Occident mais semble refuser dorénavant d'être son marchepied. Le vote de la Grande Assemblée nationale de mars 2003 est un signal fort adressé à la fois aux Etats-Unis et à l'Union européenne. Sans encore savoir ce qu'elle voudra en faire, Ankara reprend sa liberté. Mais dans quelle mesure cette affirmation s'avère-t-elle vraie ?
[...] Cependant, un nouvel incident vint à nouveau émailler les relations déjà précaires entre Ankara et Washington[27]. Le 4 juillet 2003, les troupes américaines arrêtèrent des troupes d'interventions spéciales turques dans la ville nord irakienne de Sulaymaniye, les accusant de conspirer l'assassinat d'élus officiels kurdes. La Turquie, et surtout l'Armée, virent cet épisode comme une véritable provocation ainsi que la preuve irréfutable de l'attachement des Etats-Unis à la cause kurde. Cela n'empêcha cependant pas le Parlement turc d'approuver le 7 octobre suivant une motion autorisant le gouvernement à envoyer en Irak, sous l'autorité et le contrôle américain, des troupes pour une durée d'un an[28]. [...]
[...] Cependant, certains éléments de la gestion de l'après-guerre contribuent à compenser en partie les pertes engendrées par le conflit. En effet, les dirigeants turcs se virent rassurés par le maintien de l'activité des grandes sociétés pétrolières occidentales dans le sud comme dans le nord ainsi que par le frein mit par les Etats-Unis à la recherche de nouveaux gisements dans le sud du pays. Cela permet donc au nord de minimiser sa perte de vitesse en matière d'exportation ainsi que de continuer à attirer les investissements nécessaires à la réparation et à la modernisation des infrastructures pétrolières du Nord irakien. [...]
[...] Cette étude consistera donc en une description de la composition de chacun de ces acteurs, en une analyse du rôle que chacun joue au sein des structures étatiques, des interactions existant entre ces entités, du poids de certains responsables ainsi que de l'influence exercée par des acteurs extérieurs sur chacune des parties. Concernant les relations plus spécifiques qu'entretient la Turquie avec ses partenaires américains et européens, une analyse plus complète sera faite au niveau interétatique dans la deuxième partie de cette étude. Cependant, les rapports d'influences existant entre acteurs extérieurs et les différents acteurs internes seront relevés ici. Il s'agira simplement dans un premier temps de juger du poids des variables systémiques auprès de chacun des acteurs internes. [...]
[...] Visions Janvier p. KAGAN (Robert), Power and weakness dans Policy Review, n°113, 19p. KEMPF (Olivier), Europe au-delà de la frontière linéaire dans Défense nationale et sécurité collective n°02. KESICI (Ilhan), Turkish-US relations: convergence or divergence? dans Turkish Policy Quarterly, Printemps 2005, vol.4, p. LESSER Off autopilot: the future of Turkish-US relations dans Turkish Policy Quarterly, Hiver 2005, vol.4, p. LEWIS (Eric), Replace Turkey as a strategic partner? [...]
[...] [147] Ce programme se fait avec le soutien du programme MEDA . Il s'agit donc de la première initiative turque de développement régionale financée en partie par l'Union européenne. REEVES (Teresa), Turkey's regional policy on the road to the EU dans Turkish Policy Quarterly, Automne 2005, vol.4, p.6-7. [148] Country analysis briefs. Turkey., Juillet 2005 sur : http://www.eia.doe.gov/emeu/cabs/turkey.html [149] KAGAN (Robert), Power and weakness dans Policy Review, n°113, p.5. [150] Id., p [151] Cette association active depuis 1996 regroupe les mères de victimes kurdes et milite pour un refus de la guerre. [...]
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