Jean-François BAYART se place d'emblée dans une perspective anticulturaliste des rapports entre culture et politique. Il renonce donc aux 'prétendues identités culturelles' de différents groupes. Cette vision ne constitue pas un a priori, mais est l'objet même de l'ouvrage. En fait, il mène deux analyses successives. Il montre d'abord que la démarche culturaliste n'explique en rien les actions politiques. Puis il tente d'apporter sa contribution à l'explication de la 'formation de l'Etat' (et non pas sa création) à travers la notion d'imaginaire qu'il substitue à celle de culture, sans tomber dans 'l'idéalisme magique'
[...] Dès lors s'agit-il de jeter le mot culture ? " Le chassé-croisé des processus d'invention de la tradition constitutifs du mouvement général de globalisation depuis plus d'un siècle, nous rappelle qu'il n'est de culture que créée, et que cette création est généralement récente. Le postulat culturaliste d'une correspondance automatique entre une communauté politique et une cohérence culturelle est lié à la vision des Etats ayant forgé leur unité politique à travers une unité culturelle plébiscite de tous les jours " de Renan d'une communauté choisie ou le Volkgeist allemand héréditaire). [...]
[...] Les faits posent une limite même à l'imaginaire car ils ne sont pas toujours faciles à établir. De plus la matérialité est créatrice d'imaginaire : le vainqueur d'une guerre structure la réalité, "même si l'imaginaire des vaincus persiste dans les creux de la société Sinon la matérialisation de l'imaginaire le confirme dans sa supériorité au concept de culture. De nombreux actes en effet loin d'être liés à une culture profonde sont polysémiques et plus conformes à l'imaginaire par nature ambivalent. [...]
[...] La création d'un terme remplaçant celui de culture semble alors difficile. Celui d'imaginaire permet effectivement d'éclaircir la situation. Son ambivalence permet de mener une analyse des raisons culturelles de l'action politique. Mais la précision et surtout l'utilité même du terme me paraissent difficiles à concevoir. Certes il admet la multiplicité des cas mais comment alors l'appliquer dans la réalité ? Le raisonnement culturaliste tente de tirer la conséquence de cultures divergentes et analyse leur différence. Si l'imaginaire n'est qu'une nébuleuse, il semble difficile de l'utiliser dans des analyses comparatives ou mêmes des études d'un groupe donné. [...]
[...] L'invention de la tradition intervient pour masquer l'infidélité au passé tout en répondant aux besoins du présent. Enfin, la culture "c'est moins se conformer ou s'identifier que faire Bayart entend par là que la politique construit aussi la culture, autant que l'inverse. Il est vrai que les interprétations des symboles ou représentations culturelles sont multiples, ce qui permet aux décideurs de l'interpréter dans un sens qui convient au mieux à leurs intérêts. Ce dernier élément réfute la dernière assertion culturaliste. [...]
[...] Le culturalisme s'est aussi révélé être une idéologie de la globalisation. " En affirmant la différence irréductible des identités ethniques et des civilisations, le culturalisme contribue bizarrement à l'unité dialectique du monde. " En fait, il est l'une des bases sur laquelle les acteurs internationaux entrent en interaction. Colonisateurs et colonisés agissent ainsi ensemble dans le travail de réinvention de la modernité mais parfois avec des objectifs différents ou des "malentendus opératoires Les tendances actuelles du christianisme en Afrique noire illustrent ce rapport subtil entre l'affirmation de la singularité locale et la globalisation du monde, deux évolutions apparemment contradictoires, mais dont l'illusion culturaliste parvient à faire une synthèse. [...]
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