L'expression de " citoyen du monde " est apparue presque simultanément en français, en allemand et en anglais au début du XVIIIème siècle, avec en français et en allemand pour synonyme le substantif " cosmopolite " ou " weltburger ". Dans ces trois langues, le mot est explicitement présenté comme un décalque du grec kosmopolitès. Or, le mot grec présente deux nuances de sens, selon que l'on s'en réfère à l'emploi qu'en font les cyniques ou, au contraire, les stoïciens.
C'est à Dyogène le cynique qu'est traditionnellement rapportée la première occurrence de l'expression grècque " je suis citoyen du monde " par laquelle Dyogène aurait répondu à la question " d'où es-tu? ". Cette réponse, pour les cyniques, signifie deux choses. D'abord une négation ou, plus exactement l'affirmation d'une négation ou d'un refus. A la question " d'où es-tu? ", on attendrait en effet que l'on réponde par le nom d'une cité, " je suis d'Athènes ", par où l'on exprimerait un lien privilégié à un territoire, à des hommes à des institutions - le territoire sur lequel on est né et où l'on est chez soi, les hommes auxquels on est plus étroitement apparenté, les lois qui nous protègent. Ces trois élément sont constitutifs de la conscience de soi de l'homme grec classique. En répondant comme il le fait, Dyogène semble donc nier que ce qui est signifié par les formules " je suis d'ici ou de là " soit quelque chose de réel, c'est-à-dire de naturel. Il affirme que ce qui est signifié par ces expressions existe seulement en parole ou par convention mais non pas en nature. Le Sage qui choisit de vivre ad naturam ne se reconnaît pas dans ces divisions qui séparent les hommes en sous-ensembles exclusifs et souvent hostiles : il ne connaît que des hommes ou, plutôt, ne cherche à connaître que des hommes. Le Sage cynique, parce qu'il ne veut voir que la nature, ne peut voir que des hommes et non des grecs ou des barbares. " Je suis citoyen du monde " veut donc dire d'abord " je ne suis pas athénien, grec, chinois, je suis homme ". Mais outre ce sens négatif qui fait surgir l'artificialité des distinctions qui paraissent les plus naturelles, la formule de Dyogène a un sens positif : elle suppose un monde accueillant. Se poser comme n'étant ni d'ici ni de là mais du monde, c'est aussi supposer un monde dans lequel le Sage pourra être reçu partout comme un homme et non comme un ennemi. Selon la formule d'Aristophane, " la patrie est partout où l'on se sent bien " (Ploutos). De ce point de vue, le citoyen du monde est, idéalement au moins, le contraire de l'apatride : l'apatride n'est chez lui nulle part, est étranger partout ; le citoyen du monde à l'inverse n'est étranger nulle part, est chez lui partout. Un monde conforme à l'idéal dyogénien de la citoyenneté du monde, conforme aussi à la pratique des cyniques, est donc un monde dans lequel le Sage n'est nulle part un " étranger ", un monde dans lequel chaque pays peut, s'il le désire, devenir, même pour quelques heures, sa patrie. Un tel cosmopolitisme est donc à la fois individualiste, anarchiste et régressif. Individualiste parce qu'il tient que l'individu est son propre maître, qu'il n'appartient pas à une cité, à un groupe, mais qu'il appartient à ses désirs ou à sa volonté. Anarchiste parce qu'il signifie que le lien politique est à la fois conventionnel et non naturel. Régressif parce que la seule façon pour tous les hommes de vivre conformément à cet idéal, ce serait de vivre à l'exemple des grues - oiseaux cosmopolites par excellence que ne lient aucun lieu, aucune patrie et qui émigrent de la Thrace en Egypte " sans penser que la Thrace soit leur patrie, ni l'Egypte leur terre d'exil, mais des lieux respectifs de résidence pour l'hiver et l'été " (Favorinus, Sur l'exil).
[...] Anarchiste parce qu'il signifie que le lien politique est à la fois conventionnel et non naturel. Régressif parce que la seule façon pour tous les hommes de vivre conformément à cet idéal, ce serait de vivre à l'exemple des grues - oiseaux cosmopolites par excellence que ne lient aucun lieu, aucune patrie et qui émigrent de la Thrace en Egypte " sans penser que la Thrace soit leur patrie, ni l'Egypte leur terre d'exil, mais des lieux respectifs de résidence pour l'hiver et l'été " (Favorinus, Sur l'exil). [...]
[...] A la question " d'où es-tu? on attendrait en effet que l'on réponde par le nom d'une cité, " je suis d'Athènes par où l'on exprimerait un lien privilégié à un territoire, à des hommes à des institutions - le territoire sur lequel on est né et où l'on est chez soi, les hommes auxquels on est plus étroitement apparenté, les lois qui nous protègent. Ces trois éléments sont constitutifs de la conscience de soi de l'homme grec classique. En répondant comme il le fait, Dyogène semble donc nier que ce qui est signifié par les formules " je suis d'ici ou de là " soit quelque chose de réel, c'est-à-dire de naturel. [...]
[...] On peut, selon cette signification, être citoyen du monde même si le monde n'est pas un unique Etat, même s'il est politiquement divisé : il suffit qu'il soit partout accueillant au cosmopolite. A l'inverse, le cosmopolitisme stoïcien implique, lui, une réformation profonde du monde. Etre citoyen du monde signifie, cette fois, être concitoyen de tous les hommes dans l'unique Cité du monde et le cosmopolitisme implique alors de chercher à réunir tous les hommes et tous les peuples à l'intérieur d'un même ensemble politique. [...]
[...] Un monde conforme à l'idéal dyogénien de la citoyenneté du monde, conforme aussi à la pratique des cyniques, est donc un monde dans lequel le Sage n'est nulle part un " étranger un monde dans lequel chaque pays peut, s'il le désire, devenir, même pour quelques heures, sa patrie. Un tel cosmopolitisme est donc à la fois individualiste, anarchiste et régressif. Individualiste parce qu'il tient que l'individu est son propre maître, qu'il n'appartient pas à une cité, à un groupe, mais qu'il appartient à ses désirs ou à sa volonté. [...]
[...] Goblot). L'expression de " citoyen du monde " est apparue presque simultanément en français, en allemand et en anglais au début du XVIIIème siècle, avec en français et en allemand pour synonyme le substantif " cosmopolite " ou " weltburger Dans ces trois langues, le mot est explicitement présenté comme un décalque du grec kosmopolitès. Or, le mot grec présente deux nuances de sens, selon que l'on s'en réfère à l'emploi qu'en font les cyniques ou, au contraire, les stoïciens. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture