Décoder les réalités et la logique de la criminalisation des Etats d'Afrique noire est souvent une tache pour laquelle les analystes conjoncturels et journalistes n'évitent pas l'écueil de l'afro-pessimisme qui consiste simplement à dire à la façon de Stephen Smith dans son essai Négrologie : « Le présent n'a pas d'avenir en Afrique » . De son côté, la littérature académique récente s'est parfois bornée à parler de « collapsed states » ou de « state failure ».
Un premier ouvrage, fruit de la recherche de deux universitaires français et un universitaire anglais, a néanmoins renouvelé le cadre d'analyse de l'Etat en Afrique. Ainsi, dans leur ouvrage La Criminalisation de l'Etat en Afrique, Jean-François Bayart, Béatrice Hibou et Stephen Ellis reviennent sur les stratégies patrimonialistes des dirigeants de ces Etats et insistent sur l'idée que l'Etat, malgré la guerre, ne s'effondre pas.
De son côté, William Reno, professeur de science politique à la Florida International University, a proposé un paradigme nouveau qui va dans le sens de ces travaux. En étudiant dans un premier temps les logiques de criminalisation au sein de l'Etat en Sierra Leone , Reno a élaboré le concept de « shadow state ». Nouveau mode de gouvernementalité, l'Etat fantôme serait, selon Reno, constitué d'élites politiques favorisant le développement de marchés économiques informels pour contrecarrer le déclin de l'autorité centrale du pouvoir. De cette façon, l'Etat, en se privatisant, assurerait sa survie.
L'ouvrage Warlord Politics and African States sera ici l'objet de notre réflexion. Poursuivant les pistes de ses travaux sur le Sierra Leone, Reno adopte ici une approche comparatiste en ajoutant à l'Etat sierra léonais l'analyse successive des logiques criminalistes au Libéria, au Congo et au Niger.
Nous présenterons ici les conclusions de Reno tirées de l'étude de ces Etats puis nous évaluerons la pertinence du concept de « shadow state ».
[...] J'ai cherché un ensemble de cas illustrant l'effondrement des politiques client-patron, chacun avec des variations face aux pressions externes de changement. Ces quatre pays possèdent tous de façon éloquente de faibles institutions étatiques formelles. [xxii] Hussein SOLOMON, Nikki FUNKE, Revisiting Shadow States in Africa Centre for International Political Studies, working paper, disponible à : http://www.up.ac.za/academic/cips/africanproj.htm. [xxiii] Daniel-Louis SEILER, La méthode comparative en science politique, Paris, Armand Colin p.221. [xxiv] William RENO, La privatisation de la souveraineté et la survie des Etats faibles in Béatrice HIBOU, op. cit., p.161. [...]
[...] Pour comprendre les travaux de William Reno, il nous faut évoquer ici ceux de I. William Zartman, auteur d'un remarqué Collapsed States, et qui voit dans l'Afrique noire la région la plus touchée par la faillite de l'Etat : State collapse is a deeper phenomenon than mere rebellion, coup, or riot . It refers to a situation where the structure, authority (legitimate power), law, and political order have fallen apart and must be reconstituted in some form, old or new.[ ] The phenomenon is historic and worldwide but nowhere are there more examples than in contemporary Africa.”[v] Plus loin, Zartman explique en des termes simples ce qui caractérise l'Etat en faillite : Collapse means that the basic functions of the state are no longer performed, as analyzed in various theories of the state. [...]
[...] Intéressante, la thèse de Reno mérite d'être mise en perspective dans le cadre d'une réflexion scientifique sur la nature de l'Etat en général et plus particulièrement en Afrique. Une approche novatrice L'approche de William Reno est novatrice dans le sens où elle présente les stratégies des acteurs étatiques dans le cadre du système international. On peut ainsi voir dans l'émergence des Shadow States l'impact de la globalisation sur les capacités managériales au niveau local des sociétés en développement. De cette façon, le concept de gouvernance globale s'applique en toute cohérence à l'approche de Reno. [...]
[...] Comme autorité politique institutionnelle, il a perdu sa légitimité et son droit de commander et de conduire les affaires publiques. Comme système d'organisation socio-économique, sa balance fonctionnelle de recettes et de dépenses est détruite; il ne reçoit plus de soutiens et n'exerce plus quelque contrôle sur sa population et n'est même plus la cible de revendications parce que sa population sait qu'il est incapable d'y répondre. Ne fonctionnant désormais plus, que ce soit grâce à des sources traditionnelles ou charismatiques ou institutionnelles de légitimité, il a perdu son droit de gouverner.” [vii] William RENO, op. [...]
[...] Il y parvient en juillet 1997, à l'issue d'une élection menée sous le contrôle d'observateurs internationaux. La légitimation de l'Etat-fantôme provient donc de l'extérieur. Les dirigeants peuvent compter, selon Reno, sur ces forces extérieures pour ne pas avoir à négocier avec des groupes qui représentent une menace. La stratégie de ces seigneurs de guerre se résume alors à un affaiblissement volontaire de l'appareil bureaucratique au profit de l'économie extérieure. Si Reno ne prend pas dans son ouvrage l'exemple du Soudan, on y retrouve néanmoins cette logique. [...]
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