Stéphane Rosière, géographe et maître de conférence à l'Université de Reims, s'investit dans la géographie politique et la géopolitique et se distingue notamment pour sa participation au débat épistémologique en géographie. Ces deux approches (géographie politique et géopolitique) mises en relation permettent, selon lui, une visualisation globale des enjeux spatiaux et mettent en avant les processus de construction des espaces par le pouvoir. Ce champ de recherche, S. Rosière l'a déjà bien entamé à travers Géographie politique et géopolitique. Une grammaire de l'espace politique (Paris, Ellipses, 2003), où il définit des concepts opératoires nécessaires à la géographie politique et à la géopolitique. C'est également dans cette perspective que s'inscrit la revue en ligne L'Espace Politique, dont S. Rosière est directeur de publication. Naturellement, après avoir défini les cadres de la matière, il publie une étude appliquée, Le nettoyage ethnique. Terreur et peuplement, à travers laquelle il tente démontrer la pertinence de son approche. Cet ouvrage est en effet l'occasion d'appliquer une démarche à un sujet : faire une géographie politique du peuplement.
À travers cette étude, le géographe - qui fait d'ailleurs oeuvre d'historien - nous invite à réfléchir sur la question du peuplement à travers une focale politique. Il regrette encore que "les phénomènes de nettoyages ethniques, comme beaucoup de phénomènes politiques, [aient] été sous-estimés par la géographie" (p. 04). Or le nettoyage ethnique est un des phénomènes à travers l'étude duquel il est possible d'entrevoir les relations entre les territoires et les pouvoirs politiques comme un facteur agissant sur le peuplement et donc sur les espaces. Si Rosière reconnaît le caractère ambigu de l'expression "nettoyage ethnique", il pense néanmoins que l'expression est aujourd'hui assez usuelle pour en faire un objet d'étude. Sans en discuter le "fondement moral", force est de reconnaître sa pertinence "pour désigner une catégorie spécifique de politiques liées au peuplement" (p. 03). Dans un premier temps, S. Rosière reconstruit théoriquement le concept même de nettoyage ethnique, l'objet de la première partie étant de détailler les logiques du nettoyage ethnique. Il y définit d'abord le sens et il y expose les concepts connexes. Il "historicise" également le phénomène avant de retracer le parcours de l'expression "nettoyage éthique" qui fait son apparition lors du conflit en Yougoslavie (1991-1995). Il en définit enfin les acteurs et les cadres géographiques (...)
[...] En outre, les analyses du système-monde se placent dans la logique braudelienne du temps long, jusqu'au XVIe pour le système-monde moderne qui nous intéresse. Or S. Rosière, inscrit son étude dans le temps contemporain, beaucoup plus court. Pourtant, la spatialisation des nettoyages ethniques, en lien avec une analyse du système-monde moderne, semble poser la question du temps long puisque le centre identifié par S. Rosière à travers les nettoyages ethniques exclue les États-Unis. C'est un centre européen qui apparaît, où les états plus anciens imposent des logiques différentes en termes de répartition du peuplement que les états plus récents comme les États-Unis. [...]
[...] La complexité du phénomène de nettoyage ethnique, phénomène généralisé à l'échelle mondiale qui témoigne de mécanismes globaux, nécessitait cet éclairage. S. Rosière ne fige pas pour autant ses analyses comme ces quelques lignes le font dans un souci de clarté et de concision dans des schémas conceptuels et dans une typologie rigide. Les différentes logiques de nettoyage ethnique se côtoient et s'interpénètrent, certaines mêmes échappent en partie à la grille d'analyse qui vient d'être établie. Enfin, si l'on peut retenir les enjeux épistémologiques, on retiendra également une prise de conscience citoyenne sur la violence politique dans le monde. [...]
[...] Les nettoyages ethniques se définissent aussi par des logiques géographiques, de deux ordres : territoriales et spatiales. Dans le cas des nettoyages de statogenèse la constitution des États débouche presque mécaniquement sur une spirale de politique de terreur et [sur] des pratiques génocidaires (p. 85). Ce type de nettoyage est parfaitement identifiable : dans l'éclatement de la Yougoslavie entre 1991 et 2001 ; dans la construction des États balkaniques entre 1821 et 1923, région qui est l'objet d'une homogénéisation des populations entre les États balkaniques, la Grèce est la Turquie (c'est dans ce cadre qu'intervient le génocide arménien (1915), qualifié ici de nettoyage spectaculaire ; et surtout à travers la création d'Israël. [...]
[...] Terreur et peuplement, à travers laquelle il tente démontrer la pertinence de son approche. Cet ouvrage est en effet l'occasion d'appliquer une démarche à un sujet : faire une géographie politique du peuplement. À travers cette étude, le géographe - qui fait d'ailleurs œuvre d'historien - nous invite à réfléchir sur la question du peuplement à travers une focale politique. Il regrette encore que les phénomènes de nettoyages ethniques, comme beaucoup de phénomènes politiques, [aient] été sous-estimés par la géographie (p. [...]
[...] Il en est ainsi des États d'Afrique noire, où les nettoyages ethniques sont fréquents. Les populations y sont généralement multi-ethniques et les frontières étatiques correspondent moins à une occupation d'un territoire qu'à des limites administratives. En Côte d'Ivoire par exemple ou au Kenya au XXe siècle, les nettoyages ethniques étudiés par S. Rosière répondent à des questions agraires et de contrôle des terres. Cet ouvrage est donc l'occasion de découvrir ou d'approfondir sa connaissance d'un phénomène pluriel, à la fois politique et spatial, et qui influe fortement sur la répartition du peuplement à l'échelle mondiale : quelques 100 millions d'individus ont été nettoyés partout dans le monde entre 1878 et 2003 (p. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture