Bertrand Badie se propose dans un article des Temps Modernes d'analyser deux ouvrages récents du sociologue et philosophe Habermas consacrés à la souveraineté, à sa crise et surtout aux modalités de son dépassement. En s'appuyant sur les thèses d'Habermas, il en vient à démontrer que la 'référence à l'humanité' est véritablement en train de devenir la 'nouvelle grammaire du monde'. La consécration progressive d'un 'espace public mondial' n'en est, pour lui, qu'une illustration. Cependant, bien que cette vision des choses soit partagée par un certain nombre d'auteurs contemporains, elle n'est pas exempte de toute critique
[...] En attendant, nous vivrons encore un moment dans un monde en équilibre instable entre le réalisme et la justice. [...]
[...] On a donc bien affaire à une justice à deux vitesses. Dans un article publié dans le d ‘Alternatives Internationales, il estime qu'il faut se garder à la fois de pêcher par excès de cynisme (en n'y voyant que manipulations) et par excès de naïveté (en n'y voyant que de nouveaux lendemains qui chantent). Bien que la référence à l'humanité devienne progressivement la nouvelle grammaire de la politique internationale le processus reste très ambivalent Car il est manipulé avec un sens consommé de la ruse par des Etats qui ont trois siècles de realpolitik derrière eux C'est évident que la scène internationale, en l'absence de contrat social et de communauté politique, reste régentée par des puissances soucieuses avant tout de leur intérêt national Mais il ne partage pas pour autant jusqu'au bout le pessimisme de Klaus-Gerd Giesen. [...]
[...] En effet, face à la mondialisation, la société nationale devient, selon Bertrand Badie, illusoire et même contreperformante. Le défi consiste à combiner l'ouverture, l'interdépendance, les relations transnationales avec l'idée de politique et même avec celle de communauté politique car, pour reprendre Habermas, l'isolement souverain est de plus en plus coûteux, la redistribution est illusoire si elle ne se redéploie pas au sein de l'économie transnationale, [ ] la démocratie est fictive si la participation aux décisions ne recouvrent pas ceux qui la subissent Pour Bertrand Badie, le postsouverainisme d'Habermas est donc bien d'abord la volonté affichée d'innover en tirant les conséquences d'un jeu démocratique qui, en restant étroitement national, devient de plus en plus formel, et les leçons d'une crise de l'Etat-providence qui s'épuise dans son repli en deçà des frontières. [...]
[...] On pourrait croire que le monde en est à ce stade : d'une souveraineté dépassée et d'une puissance qui demeure, d'une responsabilité admise mais détournée, d'une communauté internationale qui fonde la réalité d'un pouvoir commun mais qui suscite un pouvoir arbitraire lui enlevant sa part d'universalité . Au milieu du gué, entre un monde d'Etats souverains gladiateurs et une communauté internationale la transcendant, le jeu international d'aujourd'hui combinerait une responsabilité acceptée comme nécessaire et une agrégation de ruses que les Etats sauraient distiller Et Bertrand Badie de souligner, tout de même, le grand vent d'espoir qui s'annonce à l'horizon : un espace public mondial toujours plus virulent qui s'empare des grands enjeux internationaux, en débat et se mobilise pour promouvoir des solutions. [...]
[...] Pour Habermas, chaque individu sera à la fois citoyen d'un Etat-nation et citoyen du monde. Cette double citoyenneté doit pouvoir se passer de la médiation de l'Etat, il doit y avoir une appartenance directe à l'association des cosmopolitiques libres et égaux Par conséquent, il est nécessaire organiser différemment les processus de formation de la volonté politique au niveau mondial Cela passe, comme nous l'avons vu dans la première partie de ce devoir, par l'émergence d'acteurs extra-étatiques qui contribueront, en collaboration avec les organisations interétatiques à l'émergence d'une gouvernance globale et à la mise en place de régimes internationaux et transnationaux On retrouve ici la théorie du soft power ou du soft law dans les relations internationales et la distinction élaboré par Michael Zürn, qu'Habermas cite à plusieurs reprises, entre régime international (fondé sur des principes, normes, processus décisionnels établis entre Etats : governance with government) et régimes transnationaux (fondés sur des normes établies et appliquées par des acteurs non étatiques : governance without government). [...]
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