Paul Kennedy explique dès l'introduction que ce livre était pour lui, à l'origine, un simple essai sur les rapports de l'économie et du stratégique pour les grandes puissances. Il n'est véritablement devenu ce livre imposant et de référence (plus de 700 pages) qu'après plusieurs articles et cycles de conférences et selon les conseils de ses collègues et amis. L'énorme travail fourni par l'auteur se traduit dans l'ouvrage par le besoin de convaincre et de prouver en joignant au texte de nombreuses cartes comme de précises données chiffrées qui peuvent en faire, si ce n'est un manuel du moins un outil précieux.
Néanmoins ce livre s'inscrit dans un cadre théorique précis. Ainsi selon Pierre Hassner, existerait une sorte d'école américaine dont, périodiquement l'un des membres «réinventerait» selon un angle d'analyse très précis (voire réducteur) les relations internationales. Les trois exemples les plus apparents sont pour Hassner, P. Kennedy (celui pour lequel il a d'ailleurs certainement le plus d'estime), F. Fukuyama et S. Huntington.
Or, le propre de cette école qui ne s'affirme pas comme telle serait également de provoquer polémiques et affrontements, dont les racines ne sont jamais très éloignées des idéologies.
De même, cet ouvrage s'inscrit dans la perspective des voix du déclin. Les intellectuels américains expriment, en choisissant à chaque fois des axes d'analyse différents, le sentiment de risque (pour la puissance économique, pour la puissance militaire et pour la cohésion sociale américaine) que le tournant du siècle comme celui du millénaire ne coïncident avec le déclin. Participent de ce courant des oeuvres majoritairement postérieures, que le livre de Kennedy ait facilité leur expression ou que la fin de la Guerre Froide ait à la fois accentué la sensation de perte de repères et libéré la critique longtemps contenue par «patriotisme» ou idéologie dominante. Ainsi, Luttwak et Le rêve américain en danger (1993), Schlesinger et Disuning of America (1992) ou encore Philips et The Boiling Points (1993).
[...] L'Allemagne ou le Japon ont commis après 1941 nombres d'erreurs politiques ou stratégiques graves qui leur ont coûté cher. Ces erreurs sont rattachables au domaine économique dans le cas du «chaos polycratique» qui s'oppose à la cohérence dans l'attribution et l'utilisation des ressources. Fin 1943, l'arsenal des Alliés est trois fois supérieures à celui de l'Axe et la victoire en découle relativement logiquement ensuite. Les Etats-Unis sont le seul pays à s'être enrichi grâce à la guerre (les du total mondial). [...]
[...] Tous ces bouleversements posent évidemment des problèmes redoutables, et finalement insurmontables à un empire britannique dont les intérêts dans le monde sont beaucoup plus difficiles à défendre qu'un siècle plutôt. La Première Guerre Mondiale marque le caractère étroitement lié de la production économique et industrielle aux forces militaires effectives, comme en témoigne l'inefficacité de l'entrée en guerre de l'Italie, le lent épuisement de la Russie et l'aspect décisif de l'intervention américaine. Chapitre La mise en place d'un monde bipolaire et la crise des puissances moyennes». [...]
[...] En effet, les deux auteurs ont en commun de voir l'économie comme une infrastructure permettant le développement de superstructures (le droit, l'art, mais aussi la puissance stratégique pour Kennedy). Affirmer que l'auteur est marxiste sans le savoir serait ridicule, mais un parallèle peut également être fait avec Schumpeter, lui aussi non marxiste, mais suffisamment hétérodoxe pour accepter d'étudier l'hypothèse d'une défaite du système américain libéral face au socialisme. Kennedy ne croit pas que l'URSS ou les Etats-Unis vont «gagner la Guerre Froide». [...]
[...] Comme les obstacles au changement étaient moins nombreux, les sociétés européennes sont entrées dans un cycle régulier de croissance économique et de progrès dans l'efficacité militaire qui, au fil des années, allaient les placer à la tête du reste du monde. Chapitre Les tentatives hégémoniques des Habsbourg, 1519-1659. Cette dynamique liée aux mutations technologiques et à la compétitivité militaire a poussé toute l'Europe en avant dans un esprit de concurrence pluraliste qui lui est propre, mais sans exclure qu'un des Etats rivaux puisse acquérir des ressources suffisantes pour dépasser les autres, puis pour dominer le continent. [...]
[...] A aucun moment Kennedy n'entre dans l'analyse des mobiles en eux-mêmes des grandes puissances. Le développement très détaillé des objectifs partiels et des stratégies de domination ne peut remplacer une recherche sur ce qui constitue la volonté pour les puissances de se projeter dans l'espace international. Est-il possible de voir dans les rivalités entre Etats, se traduisant par des affrontements économiques et stratégiques, une volonté de puissance que n'aurait pas renié Hobbes? Le terme même de «puissance» caractérisé dès le titre de Grande tend à affirmer une thèse implicite dans l'ouvrage de Paul Kennedy, la recherche de puissance par tous les acteurs de la scène internationale, certains recevant à leur apogée l'onction du terme «grande puissance» avant de ce le voir disputer dès la période suivante. [...]
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