Joseph Nye, actuellement doyen de la Kennedy School of Government de l'université Harvard, a été président du National Intelligence Council et secrétaire adjoint à la défense dans l'administration Clinton. Il est notamment l'auteur de Bound to lead: the changing nature of American power
Dans cet essai sur la puissance américaine, J. Nye fait une série de constats sur l'état du monde et en décrit les conséquences pour la politique étrangère des Etats-Unis.
le choc du 11 septembre a été perçu comme un avertissement (wake up call) par une nation qui s'était complaisamment installée, après la chute de l'empire soviétique, dans sa position de puissance mondiale sans rivale, alliant, dans la conduite de sa politique étrangère, unilatéralisme, arrogance et esprit de clocher (parochialism). Sans doute le choc du 11 septembre avait-il provoqué un sursaut dans le sens du multilatéralisme (paiement des arriérés aux Nations unies, formation d'une coalition et coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme...), mais ce mouvement ne s'est guère consolidé: les démarches de dénigrement de la Cour Pénale Internationale, l'unilatéralisme dans la détermination des Etats coupables de soutenir le terrorisme ont montré les limites de cette évolution.
[...] Le fait est que, par la couverture médiatique qui leur est accordée, les problématiques de droits de l'homme, lato sensu, s'invitent à l'agenda diplomatique américain, comme ce fut le cas, au cours de la décennie passée, pour la Somalie, le Rwanda, Haïti, la Bosnie ou le Kosovo. Le mode d'emploi préconisé par Nye s'appuie sur quelques règles : ( Utiliser toute la palette des instruments diplomatiques classiques (condamnation, pressions, sanctions . ) et ne recourir à l'usage de la force que dans les cas les plus extrêmes ; ( Éviter, en tout état de cause, le recours à la force pour des seuls intérêts humanitaires, en l'absence d'autres intérêts nationaux, la motivation pour demeurer engagé étant alors insuffisante (cas de la Somalie) ; ( Dans le cas d'un recours à la force, il faut que la cause soit juste, les moyens employés proportionnés à la fin et la probabilité de succès élevée ; ( Rechercher l'association d'autres acteurs régionaux en leur laissant, de préférence, la conduite des opérations (Australie au Timor- Oriental, Royaume Uni en Sierra Leone) ; ( Ne pas tolérer la répétition d'un génocide tel que celui du Rwanda en 1994 ; ( Éviter de prendre parti dans des guerres civiles d'autodétermination. [...]
[...] Il en va de même pour l 'économie. Aussi les démarches unilatéralistes, en alliant arrogance, indifférence à l'opinion d'autrui et définition étroite de l'intérêt national, aboutissent-elles de façon sûre et certaine à l'érosion du soft power américain. Toute tentative de dominer fait observer Nye en citant Richard Haass, le chef du Policy Planning Staff de l'administration Bush, se heurterait à un défaut de soutien interne et stimulerait la résistance à l'étranger, ce qui ne manquerait pas, par voie de conséquence, d'accroître le coût de l'hégémonie, et d'en réduire les bénéfices S'interrogeant sur les raisons de cette situation, Nye souligne que, suite à la disparition de la menace soviétique, qui déterminait clairement l'intérêt national, celui-ci est aujourd'hui, dans un contexte d'indifférence de l'opinion publique aux problématiques de politique étrangère, mal identifié. [...]
[...] Notre force militaire est importante commente Nye, mais pas seize fois plus importante que notre diplomatie Il s'agit également de soft power, en montrant l'exemple, ce qui exigera davantage de mesure de la part du Congrès et le refus de la tentation de faire passer l'intérêt national étroit avant les besoins de la communauté internationale. Définir une stratégie d'emploi. Le modèle est là, à nouveau, l'Angleterre victorienne[3], qui, dans le cas des Etats-Unis contemporains, se retrouve sous trois formes : - les déploiements de forces américaines dans le monde, qui produisent, au bénéfice des Etats concernés, de la réassurance contre les candidats régionaux à l'hégémonie ; - la promotion d'un système plus ouvert d 'échanges internationaux, qui bénéficie aux Etats les plus pauvres, à même de trouver des débouchés pour leurs produits. [...]
[...] Au-delà de la défense des intérêts vitaux, stricto sensu, du pays, où son emploi ne pose pas de problème de légitimité, la puissance doit être rapportée à la notion de bien public international que constitue l'ordre international, une notion que Nye emprunte à la théorie économique - un bien que chacun peut consommer sans réduire sa disponibilité pour d'autres Les Etats-Unis étant un bénéficiaire important de ce bien public, il leur incombe de prendre le leadership dans sa production, car aucun des autres pays de la planète, également bénéficiaires, mais moins bien dotés en moyens, ne peut se substituer à eux. Cette démarche implique de : mobiliser les ressources qui permettent de produire ce bien public. Il s'agit de hard power, bien entendu, mais avec un investissement accru dans les aspects non militaires - alors que le Congrès s'est montré prêt à allouer du budget fédéral aux dépenses de défense, la part de ce budget consacrée à l'action internationale des Etats-Unis est passée de pendant les années 60 à aujourd'hui. [...]
[...] ) : ce sont là des atouts importants qui ne procurent la puissance, cependant, qu'à la condition d'être bien joués. Si, historiquement, la puissance s'est manifestée par la guerre et la conquête, cette forme d'exercice de la puissance a perdu de son importance, dans le monde post-industriel[1], au profit de formes plus complexes. Certes le poids du facteur militaire est loin d'avoir disparu (cf. le rôle des forces américaines stationnées en Asie orientale et au Proche-Orient dans les équilibres stratégiques régionaux), mais d'autres formes ont gagné en importance, à commencer par le pouvoir économique, qui ne se réduit pas à des statistiques de PIB, mais englobe le pouvoir, pour un Etat, de dicter ou d'obtenir des règles du jeu qui lui soient favorables. [...]
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