Les événements du 11 septembre 2001 ont cristallisé dans les esprits des peurs et des haines. Terrorisme et de terreur sont les mots les plus employés désormais. La symbolique des images renvoie à la fin d'un empire tombant aux mains des barbares. En Afghanistan, les avions les plus sophistiqués traquent les guerriers les plus archaïques de l'humanité. L'empire dans le ciel, les barbares dans les cavernes.
Les images produites par les événements du 11 septembre font se joindre des images de jeux vidéo avec celle d'un western biblique. La barbarie menacerait la civilisation. Quels que soient nos efforts pour résister à la tentation du racisme et du préjugé, le 11 septembre est un repère singulier dans une fracture de tous les temps, celle entre nous, les civilisés, et eux, les barbares.
On croit depuis longtemps que l'Occident fabrique le monde. Mais depuis le fameux déclin de l'Occident de Spengler, écrit dans les années 30, il est de bon ton d'annoncer la fin de l'hégémonie civilisatrice. La décadence est une question qui hante l'Occident. Plus que jamais aujourd'hui, le chaos que représente le monde donne une actualité surprenante aux thèses de Spengler.
Ce qui est le plus frappant, c'est le regain des clichés religieux et des guerres saintes qui ont envahi les prismes d'analyse et la conduite des politiques internationales. Où est donc passée la philosophie des Lumières ? A-t-elle sombré avec la fin du communisme et la décolonisation ? N'y a-t-il plus de langage de la fraternité universelle ? Sommes-nous condamnés à accepter la revanche d'un Dieu punisseur, qui guide certains peuples et en extermine d'autres ? Doit-on accepter la chute dans l'irrationnel et l'anthropologie de café qui fabrique des stéréotypes sur l'essence supposée immuable des peuples et des religions ?
Il faut renverser la symbolique du 11 septembre et se battre pour le maintien de l'esprit critique, l'ironie voltairienne, l'idéalisme de Rousseau ou de Kant. Il faut refuser de se laisser terroriser par les terroristes mais aussi par ceux qui les pourchassent. Pour cela, il faut s'attaquer à l'origine de nos peurs. L'engouement pour la lecture du Coran après le 11 septembre montre notre étroitesse d'esprit : nos savoirs profanes ne nous seraient-ils plus d'aucune utilité ? N'avons-nous plus pour nous guider que la Bible et ses schémas forts de salut pour les uns et d'enfer pour les autres ?
[...] Science, progrès technique et politique doivent être réconciliés. Sinon auront raison les promoteurs de l'essentialisme, et d'un monde fracturé hiérarchisé par la race, la religion, l'argent. Il convient de transformer l'occidentalisation du monde en un monde plus humain, même s'il est moins moderne tant cette notion à bannir est chargée de toutes les ambiguïtés narcissiques dont nous devons sortir. Marcel Gauchet, le désenchantement du monde Exceptions : Muhammad Said-Al-Ashmawy, L'islamisme contre l'islam OU Fouad Zakarya, laïcité ou islamisme, les Arabes à l'heure du choix. [...]
[...] L'identitaire suffit à tout expliquer. Mais JF Bayard a critiqué la montée des songes identitaires dans L'illusion identitaire et la croyance dans la permanence figée des cultures, dans l'âme des peuples. Mais le 11 septembre est venu cristalliser un regain de passions sur l'identitaire. Les livres sur l'Islam, le Coran, sont devenus des succès de librairie, comme si on pouvait y trouver l'explication des évènements compliqués qui secouent le monde musulman. Le choc des civilisations d'Huntington gommant tout ce qui constitue les rapports de puissance profane au profit de l'identitaire essentialiste à base religieuse prévoit un affrontement entre l'islam et l'Occident chrétien. [...]
[...] Il se laisse prendre lui aussi à la théologie du salut. Ce n'est plus le prolétariat qui sauve l'humanité, ce sont les entrepreneurs libres. Les dirigeants de l'OMC ou du FMI sont les grands prêtres. Leurs réunions deviennent l'équivalent des anciens conciles d'Eglises. Dieu a changé de nom, il n'a pas cessé d'inspirer nos comportements profanes. Un des problèmes majeurs de l'occidentalisation du monde résiderait donc dans cette fausse laïcité, dont l'occident se gargarise mais qui l'amène aujourd'hui à redécouvrir ses racines judéo-chrétiennes en lieu et place des racines gréco-romaines de la culture de la Renaissance. [...]
[...] Le nazisme a cherché à accomplir dans le réel la fracture imaginaire. C'est aussi le mythe de la division du monde entre Aryens et Sémites qui a accrédité le cliché qu'Arabes et Juifs ne peuvent pas s'entendre en Palestine, puisqu'ils seraient des frères de race dans le sémitisme et que le conflit israélo-arabe est artificiel. Dans cette image-cliché, les immigrants polonais, Hongrois ou Ukrainiens juifs, dont les ancêtres ont vécu une dizaine de siècles en milieu européen, ne feraient, en émigrant en Israël, que retrouver au Proche-Orient leurs frères de race les Arabes. [...]
[...] Bref, avec le modernisme, l'Orient musulman découvre les avantages de l'entrée de la religion en politique. C'est une rupture fondamentale avec la société de l'islam classique : dans un califat ou un sultanat de l'époque classique, le pouvoir était aux mains des civils. Rien n'est plus éloigné de la réalité historique des sociétés musulmanes que l'islam comme fait global, où le religieux gouverne les hommes. Une dernière cause des succès de la ligne de fracture Orient/Occident est à rechercher dans le combat perdu du nationalisme arabe laïc contre les puissances coloniales, puis contre Israël. [...]
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