L'ouvrage a été publié en 1996, c'est-à-dire, cinq ans après l'effondrement du Pacte de Varsovie et la fin de la guerre froide. Ces événements avaient éveillé l'espoir d'un nouvel ordre mondial pacifique, qui devait reposer principalement sur la "renaissance" des Nations Unies, qui devaient enfin pouvoir réaliser les objectifs de leurs fondateurs. La guerre dans l'ex-Yougoslavie apporta cependant un cruel démenti à ces espoirs. La fin de la guerre froide, c'était aussi la réapparition des tensions jusqu'alors recouvertes par le conflit Est-Ouest. L'"érosion des points cardinaux", conséquence de la fin de la guerre froide et du monde bipolaire, s'accompagne d'une complexification du monde. C'est au regard de ces mutations que Salamé renouvelle l'analyse des concepts traditionnels qui fondent les relations internationales: l'Etat, la souveraineté, l'intervention, les conflits. C'est le concept d"impérialisme", et les formes qu'il prend aujourd'hui, qui lui donnent son fils conducteur.
[...] Cependant, au fil des opérations, la politique humanitaire est devenue un instrument de puissance des Etats et a cessé d'être une source de sens. Une collusion s'est opérée entre humanitaire et nationalisme. Les soupçons d'imposture et l'utilisation de l'humanitaire par des despotes à leur profit ont détourné l'opinion publique de cet élan humanitaire. Si l'humanitaire semble devoir perdurer, il semble urgent de le reprivatiser afin d'éviter que les ONG du Nord ne soient les cibles de la suspicion des gouvernements du sud. [...]
[...] En outre, les mutations du système global et la remise en cause de l'intangibilité des frontières les ont déstabilisés. Deux échecs s'avèrent significatifs: l'Etat impossible en Somalie où les divisions claniques empêchent toute unification du pays, ou bien l'Etat privé en Haïti où il y a divorce entre puissance économique et pouvoir d'Etat. Ainsi, le modèle étatique est dévalué, victime de sa popularité et de sa prolifération. Les grands pays, face à l'ampleur constatée de l'effritement de l'ordre mondial, déterminent différentes zones d'ordre et y interviennent en fonction de leurs intérêts propres. [...]
[...] La notion d'"appel d'empire" qu'il introduit permet de réfléchir sur la mondialisation - et sur la dynamique "intégration/exclusion» qu'elle véhicule - en allant à l'encontre d'un certain nombre de perspectives généralement admises, au sein d'une étude bien informée, en analysant l'intervention "vue du Sud", ce qui permet d'inscrire le phénomène dans un mouvement historique de longue durée, pour lequel la période de décolonisation n'aurait constitué qu'une parenthèse. Ghassan Salamé exhume ainsi les travaux de certains historiens de la décolonisation, à l'instar de Robinson, Gallagher ou Fieldhouse. [...]
[...] Elle accroît donc les sentiments d'exclusion, et les appels d'empire constituent une forme de raccrochement des Etats au processus de mondialisation. L'Etat est concurrencé par les structures intermédiaires de décentralisation ainsi que par les entités supranationales. Son pouvoir de régulation économique et financier lui est peu à peu contesté. Pendant une longue période, le Nord a pensé que l'implantation de l'Etat dans le Sud était possible. Les Etats ont d'ailleurs proliféré à la périphérie, mais ont rapidement connu des défaillances: les régimes en place ont cherché à pérenniser leur pouvoir et se sont trouvé délégitimés du fait de leurs insuffisances. [...]
[...] Le débat sur l'intervention des puissances dans ce type de conflits tient à la difficulté de les décrire. Les formes de la violence se sont étendues et l'Occident observe avec un certain mépris, ainsi qu'avec de la crainte ce qu'il considère comme un comportement irrationnel des peuples qu'il pourrait ramener à la raison par son intervention. La définition pathologique de la guerre est la meilleure légitimation de l'ingérence. Cependant, l'ambiguïté entre rationnel et irrationnel empêche bien souvent de formuler ce jugement: la raison d'Etat apparaît comme le masque de la raison de régime. [...]
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