Frédéric Gros est maître de conférences à l'Université Paris-XII et à l'IEP de Paris. Spécialiste de Michel Foucault, il a édité les derniers Cours de Michel Foucault au Collège de France et établi avec Arnold I. Davidson, une anthologie de textes de Michel Foucault. Il est également l'auteur de livres sur l'histoire de la psychiatrie et la philosophie pénale.
La guerre, définie par l'auteur à travers la quasi-totalité de l'ouvrage selon trois grilles de lecture philosophiques (tensions éthiques sous-tendant la guerre, objectifs politiques expliquant l'existence de la guerre, encadrement juridique de la guerre), est un concept qui n'a plus de sens aujourd'hui pour définir les nouvelles formes de violence que sont, principalement, le terrorisme, les attaques de milices armées, ou les frappes à distance permises par les avancées technologiques. Ces nouveaux « états de violence », selon l'expression forgée par l'auteur, ont des caractéristiques bien différentes de la guerre telle qu'elle a été définie dans l'ouvrage.
L'auteur s'attache principalement à passer en revue les différentes thèses philosophiques classiques ayant fourni des définitions ou des caractérisations de la guerre, de Platon à Foucault, afin d'en donner une définition extrêmement complète et exhaustive, d'un point de vue philosophique. Ce n'est que dans sa conclusion qu'il définit les « états de violence » et constate que cette nouvelle configuration de la violence, bien éloignée des concepts de guerre et de paix, doit être analysée et conceptualisée par le philosophe contemporain.
[...] Elle permettait aux Etats de s'incarner, d'exister, à travers le choix rationnel effectué entre la paix et la guerre. Elle était envisagée comme donnant consistance à l'Etat, lui permettant de se maintenir contre des agressions extérieures, et étant facteur de cohésion nationale. Elle était aussi conçue comme donnant à l'Etat une consistance matérielle, une apparence extérieure de puissance et de force, autrement dit, elle lui permettait de se sentir exister parmi les autres. Aujourd'hui, dans un monde globalisé, la violence se distribue et se pense selon l'intervention et la sécurité, qui annoncent le déclin de la guerre et de la paix. [...]
[...] ] il s'agit de faire jaillir continûment la mort des autres pour se sentir survivre à soi-même. Pour le terroriste, enfin, la mort apparaît comme possibilité de médiatisation : par sa mort et l'horreur qu'elle a provoquée, le terroriste espère publiciser au maximum son action, dans une image qui conjugue dans un acte unique la destruction des autres et sa propre renaissance fantasmatique en un au-delà glorieux. Le rapport à la mort se reconfigure donc comme destruction unilatérale de l'autre permettant, par retour, au sujet de se définir : bon professionnel, bon chien de guerre, bon terroriste. [...]
[...] Enfin, la thèse selon laquelle la médiatisation des violences à outrance rend la violence univoque, montrant partout le même visage de la souffrance, se vérifie évidemment très aisément : les images de victimes d'attentats se multiplient sur les écrans et montrent une figure unique de victimes, qu'elles soient chiites, sunnites, palestiniennes, israéliennes, victimes d'un tsunami en Asie ou d'une tuerie aux Etats-Unis. Le lien de causalité entre état de violence et inapplication du concept de guerre juste, à cause de la médiatisation, semble pourtant faible. En suivant le raisonnement de l'auteur à l'extrême, le même phénomène de médiatisation à outrance, appliqué aux guerres traditionnelles des siècles passés (guerres mondiales, guerres napoléoniennes), aurait rendu la distinction entre les bons et les méchants tout aussi malaisée. [...]
[...] Enfin, les soldats se battaient dans la perspective éthique d'en finir avec la guerre, force morale qui justifiait la guerre totale et la mobilisation à outrance. Dans ces cinq modèles, l'échange de mort configurait le rapport du soldat à la mort et donc faisait naître des forces morales sous-tendant la guerre. Le rapport à la mort est clairement reconfiguré dans les états de violence : parce que l'opposition frontale, l'échange réciproque de mort n'existe plus (la violence est unilatérale, qu'elle émane du terrorisme, des milices armées ou des frappes à distance), Frédéric Gros parle de semer ou distribuer la violence autour de soi. [...]
[...] Ces forces morales étaient différentes suivant les modèles historiques. Les chevaliers de l'Antiquité étaient guidés par une éthique du dépassement de soi, par laquelle, à travers l'affrontement avec un adversaire, ils bravaient la mort sans peur, extériorisant leur courage, trouvant dans la perspective de la mort héroïque un grand honneur. Les Hoplites, combattant dans une armée structurée de telle manière qu'elle permettait une protection mutuelle (modèle de la phalange), étaient guidés par une éthique de la solidarité et de la maîtrise de soi, par laquelle ils mettaient leur vie en danger pour protéger celle de leurs compagnons d'armes. [...]
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