Chypre, entre panhellénisme et panturquisme - Michel-M Bozdemir (1988) - L'île de Chypre, un enjeu géopolitique inséré au coeur de l'espace méditerranéen

Thèmes abordés

Chypre, panhellénisme, panturquisme, Bozdemir, Méditerranée, civilisation

Résumé du document

Michel M. Bozdemir, professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) et spécialiste de la civilisation turque, s'intéresse à la civilisation chypriote à la frontière de deux grands mouvements dans son article de littérature scientifique, « Chypre, entre panhellénisme et panturquisme » paru dans la Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, no. 48-49, en 1988. D'un côté, le panhellénisme visant l'unité des cités grecques, souvent rivales, éclatées dans l'espace. De l'autre, le panturquisme, conduit par la conquête et la domination de l'Empire ottoman à travers l'histoire par une poussée impériale fédérative. Interface entre ces deux mondes culturels, l'île de Chypre constitue un enjeu géopolitique inséré au coeur de l'espace méditerranéen, de l'Antiquité à l'époque contemporaine au XXe siècle.

Extraits

[...] L'article mériterait donc de mettre en lumière la partition à l'aune de cette réislamisation de la Turquie, puisque « dans le cas de la République turque de Chypre du Nord, le sentiment d'autochtonie a émergé chez les Chypriotes turcs présents avant 1974 et chez leurs descendants en réaction à l'immigration et aux politiques de turquification promues par les nationalistes durant les trente années qui ont suivi la partition ». Scission, finalement, au sein même de l'insularité chypriote turque, entre la Métropole turque sous Erdogan et la partie septentrionale de l'île de Chypre ; rupture au sein du panturquisme que mettait en exergue Michel Bozdemir. [...]

[...] La fin des années 1980, dans laquelle est écrite l'article de Michel Bozdemir, est aussi une période d'accélération de la mondialisation où s'enclenchent les nationalismes : l'île de Chypre constitue un verrou dans cet « autre thème central pour l'espace euro-méditerranéen [qui] est son rapport avec la mondialisation, le lien entre les migrations et le développement ». C'est par le fait que « chacun des deux pays [Grèce et Turquie] garde dans sa mémoire collective des souvenirs d'hostilité aigüe et renouvelée » que Chypre est au milieu de deux tendances, se retrouvant coincée entre la « logique de récupération » des Grecs et « l'instinct de conservation » des Turcs. [...]

[...] C'est le mérite de l'article de Michel Bozdemir que de territorialiser les conflictualités civilisationnelles au sein de la construction identitaire de Chypre ; entre-deux, frontière, jonction dans le même temps. Toutefois, quelques points sont à noter en guise de critique. Tout d'abord, l'article est daté. Ayant plus de quarante ans, l'article ne traite que des conflits les plus chauds en son temps : ainsi le point chaud que constitue Chypre, dans la conflictualité turco-grecque, est-elle un bon indice de cette dissemblance civilisationnelle entre Turquie et Grèce dans les institutions. [...]

[...] Le deuxième temps de l'article se fonde sur l'interprétation de l'île de Chypre comme frontière, y compris à l'ère des nationalismes contemporains. Enfin, le troisième temps se concentre sur l'émergence de l'État turc comme « République turque » en 1983 qui déstructure les relations traditionnelles de la Turquie avec Chypre. Michel Bozdemir a l'avantage de présenter la géopolitique de la Méditerranée sur le temps long. Reprenant en cela l'inspiration braudélienne qui demeure « un socle, attractif ou répulsif, sur lequel se régénèrent les études autour de la Méditerranée ». [...]

[...] Aussi deux visions impériales finissent-elles par s'affronter dans ce continuum spatial qu'est la Méditerranée orientale : Empire byzantin du côté grec, Empire ottoman du côté turque. L'ambition des deux civilisations n'est évidemment pas nouvelle : plongée dans l'Antiquité, la pensée de Michel Bozdemir reprend les postulats braudéliens, « la longue durée et la primauté de la société dans la compréhension historique ». Bozdemi évoque ces deux postulats lorsqu'il écrit que les Turcs sont « eux aussi, descendants d'un grand empire et aujourd'hui même, le monde turc s'étend sur plusieurs continents », de l'Asie à l'Europe à cheval sur les rives est-septentrionales de l'Afrique. [...]