L'ouvrage de Bryant Garth et Yves Dezalay propose une analyse des phénomènes de « mondialisation » et en particulier de la diffusion internationale de nouveaux modèles politiques d'inspiration nord-américaine dans quatre pays d'Amérique latine (Argentine, Brésil, Chili et Mexique). Il s'agit d'analyser la domination des Etats-Unis sur ces pays d'Amérique latine à travers l'exportation de savoirs d'Etat nord-américains qui a contribué aux transformations politiques dans cette région du monde entre 1945 et aujourd'hui. Le livre s'attarde tout particulièrement sur la diffusion et l'implantation progressive du modèle de la démocratie néo-libérale en Amérique latine. Il s'agit donc d'une analyse de l'impérialisme symbolique des Etats-Unis mais dont les auteurs proposent une interprétation tout à fait différente de celle qui est habituellement donnée. Pour comprendre le phénomène, ils se sont en effet attachés à étudier les opérateurs de ce changement eux-mêmes, se situant à un niveau micro-social plutôt que macro-social. Ils ont notamment cherché à comprendre les motivations de ces opérateurs (du Nord comme du Sud) en fonction de la position qu'ils occupent dans leurs champs sociaux respectifs (et en cela ils font un usage constant de la sociologie de Pierre Bourdieu). Ce travail d'enquête (fondé notamment sur des entretiens avec plusieurs centaines d'acteurs des stratégies d'import-export des nouveaux savoirs d'Etat en Amérique latine) leur a permis de donner une interprétation beaucoup plus fine de l'hégémonie symbolique nord-américaine et des processus d'exportation symbolique depuis les Etats-Unis. Ainsi, leurs conclusions balaient la vision simpliste d'une hégémonie fondée sur des processus d'exportations symboliques unilatérales (du Nord vers le Sud) au sein desquels le Sud jouerait le rôle purement passif. Ils remettent également en cause l'homogénéité supposée des milieux jouant les premiers rôles dans ces processus (que ce soit la vision la plus simpliste opposant un Nord homogène à un Sud lui aussi homogène ou celle plus évoluée inspirée des travaux de Wallerstein qui met en avant la coopération entre les dominants du Nord et ceux du Sud à l'intérieur de la domination du cœur de l'économie internationale sur la périphérie). Selon eux le résultat des exportations symboliques de nouveaux savoirs d'Etat en provenance des Etats-Unis est déterminé par le degré d'homologie structurale entre les pays importateurs et le pays de provenance des nouvelles expertises d'Etat (les Etats-Unis).
[...] Ainsi, si l'on s'intéresse à un autre exemple étudié dans le livre, à savoir le cas argentin, on constate que l'exportation symbolique nord-américaine a entrainé des transformations sensiblement différentes. Comme nous l'avons déjà signalé rapidement, en Argentine les notables se tiennent traditionnellement à l'écart de l'État et de toutes les institutions qui lui sont rattachées de près ou de loin, et ce, en raison des purges à très grande échelle qui suivent inévitablement les coups d'État qui surviennent assez régulièrement dans ce pays. [...]
[...] En vérité, seuls les cabinets d'affaires argentins ont vraiment mis en œuvre un de ces nouveaux savoirs américains. Au Mexique, l'élite prérévolutionnaire (tenue à l'écart du pouvoir depuis la révolution) a pu investir dans la défense des droits de l'homme promue par les grandes ONG américaines, mais ce fut principalement pour réinvestir la sphère publique qui leur était jusque-là interdite. En règle générale, on peut dire que la pratique juridique (et notamment la position subalterne de la magistrature) en Amérique latine n'a pas été substantiellement modifiée par l'influence nord-américaine (même au Chili). [...]
[...] Ils ont notamment cherché à comprendre les motivations de ces opérateurs (du Nord comme du Sud) en fonction de la position qu'ils occupent dans leurs champs sociaux respectifs (et en cela ils font un usage constant de la sociologie de Pierre Bourdieu). Ce travail d'enquête (fondé notamment sur des entretiens avec plusieurs centaines d'acteurs des stratégies d'import-export des nouveaux savoirs d'État en Amérique latine) leur a permis de donner une interprétation beaucoup plus fine de l'hégémonie symbolique nord-américaine et des processus d'exportation symbolique depuis les États-Unis. [...]
[...] Dans les années 1970 en effet, alors que l'establishment libéral est divisé sur la question des stratégies de guerre froide (une partie de cet establishment souhaitant que des questions comme le respect de droit de l'homme ne soient plus systématiquement sacrifiées sur l'autel de la lutte contre l'ennemi soviétique), des nouveaux venus au capital social relativement faible vont peu à peu imposer leurs vues dans le champ universitaire puis politique nord-américain. Ce sont les économistes monétaristes (notamment les disciples de Milton Friedman de l'Ecole de Chicago). [...]
[...] Pour les auteurs ce mouvement d'import-export se renouvelle constamment en dépit de ses échecs et même en raison de ces échecs : l'imparfaite importation de la rule of law autorise toujours une nouvelle génération à investir dans des savoirs importés pour parfaire le travail de leurs prédécesseurs et servir leurs propres stratégies d'internationalisation. Quoiqu'il en soit, ils montrent que l'histoire et la structure sociale des pays importateurs ont une influence déterminante sur la nature des transformations observées dans ces pays suite aux importations de nouveaux savoirs venant des États-Unis. Les auteurs Yves Dezalay est sociologue au CNRS (MSH, Paris). [...]
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