Le monde tel que nous le percevons encore aujourd'hui sur les cartes ressemble à un puzzle. Chaque pièce est un état, voire un état-nation. Du moins nous efforçons-nous de lui donner ce visage. Bien évidemment, un territoire borné de frontières et sur lequel un unique pouvoir politique dispose du monopole de la violence légitime, selon l'expression de Max Weber maintes fois reprise, est le produit d'une lente construction qui n'est pas une spécificité européenne. En revanche, c'est bien en Europe qu'ont été élaborés les principes du puzzle territorial et politique qui a petit à petit recouvert la planète entière. Les traités de Westphalie, signés en 1648, peuvent être considérés comme la première tentative européenne d'établir un ordre juridique dans les relations entre états. La préoccupation principale était la guerre ; Grotius voyant « dans l'univers chrétien une débauche de guerre qui eût fait honte même aux nations barbares » , il entrepris de rénover les doctrines juridiques, « convaincu de l'existence d'un droit commun à tous les peuples » . Il fut ainsi, selon certains historiens, le rédacteur tacite des traités de Westphalie, et, pour les juristes, l'un des théoriciens les plus fondamentaux du droit des gens, « qui a lieu entre les peuples ou entre les conducteurs des Etats » . Le droit des gens est l'origine de notre droit international public contemporain.
Fondé sur le principe de l'égalité des souverainetés, le droit international public ne peut se passer de la notion moderne de frontière. C'est-à-dire d'une frontière envisagée comme véritable ligne de séparation entre deux espaces géographiques chacun possédés et administrés par une puissance politique. Cette approche met en avant la puissance et renvoi à une théorie politique et une philosophie politique moderne qui placent la violence et la guerre au cœur de la nature humaine. Ainsi le désir de paix, également consubstantiel de l'être humain, amène les communautés à équilibrer leurs puissances dans des rapports encadrés par le monde limpide et structuré du droit. Que ce soit dans le monde dit bipolaire de la guerre froide, dans le monde contemporain dont on ne sait s'il est multipolaire ou unipolaire ou bien dans le concert européen arbitré par les six grandes puissances européennes au 19ème siècle, l'expression relation internationale a surtout désigné les relations d'état à état. Compte tenu des prémisses de l'état moderne, la frontière est véritablement le socle des relations internationales.
La question est de savoir si les relations internationales ainsi entendues sont à même de réguler un monde dont les flux et réseaux semblent beaucoup plus riches et diversifiés que simplement des relations interétatiques. Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts voient dans les dynamiques actuelles un puissant paradoxe : « les revendications territoriales n'ont jamais été si nombreuses alors que la capacité régulatrice des territoires n'a jamais été aussi faible. » La régulation étatique des territoires bien entendu, car les régions, les collectivités locales, les populations et les individus s'émancipent de la tutelle des administrations centrales pour réguler eux-mêmes leur environnement. Les nouvelles technologies de communication et d'information sont un facteur très important de perméabilité frontalière, mais certaines données apparaissent plus profondes et plus anciennes. L'exemple des Alpes, frontières naturelle pense-t-on instinctivement, est éloquent car il montre des populations qui au-delà des séparations politiques ont toujours gardé des préoccupations et des intérêts communs, et une culture loin de l'antagonisme belliqueux à l'origine de la constitutions des territoires étatiques nationaux.
[...] Or il semble que dans les dernières années, nous avons assisté à une réaction pro-étatique. Les opérations des Etats-Unis et de leurs alliés en Afghanistan, en Irak ou encore dans les Balkans vont dans le sens de la constitution de nouveaux états. La doctrine néo-conservatrice a manifestement pour finalité d'étendre au maximum la forme de l'état démocratique comme sujet d'un ordre juridique international. Les Etats-Unis, puissance militaro-économique dominante, sont parfaitement à leur aise dans ces relations interétatiques dont ils acceptent le multilatéralisme jusqu'à ce que leurs intérêts soient menacés et qu'ils transforment en unilatéralisme lorsqu'ils désirent faire évoluer ces intérêts. [...]
[...] Il faudrait alors inventer d'autres composantes susceptibles d'incarner la diversité (linguistique, culturelle, ethnique, confessionnelle etc.) de l'espèce humaine et de servir à leur tour d'infrastructure à un minimum de régulation sociétale. Il nous semble que c'est bien ce qui se passe. La souveraineté, fondement de l'acteur en relation internationale, a donné quelques résultats inattendus. La première interrogation est celle du fédéralisme. En effet, un état fédéré n'est pas considéré comme souverain, puisqu'il a transmis sa capacité normative à l'état fédéral. [...]
[...] La souveraineté doit évoluer dans un sens moins rigide pour entrer en adéquation avec les nouvelles relations mondiales qui interfèrent entre les frontières et dans les relations internationales. Bibliographie Ouvrage -Ancel Jacques, Géopolitique ; -Badie Bertrand, La fin des territoires, éd. Fayard ; -Badie Bertrand et Smouts Marie-Claude (sous la direction L'international sans territoire, éd. L'Harmattan ; -Badie Bertrand et Smouts Marie-Claude, Le retournement du monde, éd. Presses de la fondation nationale de science politique ; -Devin Guillaume, Sociologie des relations internationales, éd. La découverte ; -Duthreil de la Rochère Jacqueline, Le droit de l'espace, éd. [...]
[...] Compte tenu des prémisses de l'état moderne, la frontière est véritablement le socle des relations internationales. La question est de savoir si les relations internationales ainsi entendues sont à même de réguler un monde dont les flux et réseaux semblent beaucoup plus riches et diversifiés que simplement des relations interétatiques. Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts voient dans les dynamiques actuelles un puissant paradoxe : les revendications territoriales n'ont jamais été si nombreuses alors que la capacité régulatrice des territoires n'a jamais été aussi faible. [...]
[...] Le territoire est le lopin de terre limité par des frontières au sein desquelles se constitue l'unité d'un peuple, gouverné par le pouvoir politique. Ces relations ne sont pas à sens unique ; l'unité d'une communauté humaine est elle-même un facteur de territorialisation, que le pouvoir politique contribue à renforcer tout en cimentant l'unité en la dotant d'un symbole. La frontière comme ligne de séparation née avec la contiguïté de deux ou plusieurs peuples, au terme de processus souvent guerriers, quelquefois concertés et négociés. [...]
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